Communiqué de presse |
CHAMBRES
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(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel) |
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La Haye, le 5 mars 1998
CC/P.I.O./299f
Dražen Erdemović condamné à 5 ans d’emprisonnement
« [L’accusé] est amendable. Il conviendrait de lui donner une seconde chance afin qu'il puisse prendre un nouveau départ dans la vie après sa libération et tant qu'il est assez jeune pour le faire. »
Le jeudi 5 mars 1998, la Chambre de première instance II-ter (composée des Juges Mumba, Président, Shahabuddeen et Wang) a rendu son jugement portant condamnation au procès de Dražen Erdemović.
La Chambre, à l’unanimité des juges, a condamné l’accusé à une peine de 5 ans d’emprisonnement. Dražen Erdemović avait plaidé coupable d’un chef de violation des lois ou coutumes de la guerre (« crime de guerre »).
L’accusé a le droit d’interjeter appel jusqu’à l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de ce jour.
Le Greffier du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie a reçu l’ordre de prendre les dispositions nécessaires au transfert de Dražen Erdemović vers l’un des États ayant conclu un accord d’exécution, sur son territoire, des peines infligées par le Tribunal international.
La période que l’accusé a passée sous la garde du TPIY sera déduite de la durée totale de sa peine. Cette période court du 28 mars 1996 (date à laquelle le Juge Riad a signé une ordonnance pour que l’accusé soit transféré de République fédérale de Yougoslavie au TPIY) au jour de son transfert dans l’État où il purgera sa peine.
Le procès
Le 31 mai 1996, Dražen Erdemović a comparu devant une Chambre de première instance et a plaidé COUPABLE du chef d’accusation de crime contre l’humanité retenu contre lui.
Le 29 novembre 1996, il a été condamné à une peine de 10 ans d’emprisonnement.
Le 23 décembre 1996, l’accusé a interjeté appel du jugement portant condamnation, demandant l’acquittement ou la révision de sa peine.
Le 7 octobre 1997, la Chambre d’appel a rejeté les demandes d’acquittement ou de révision de la peine, mais a ordonné que l’accusé soit « autorisé à plaider à nouveau devant une autre Chambre de première instance ». Les juges de la Chambre d’appel ont, à la majorité (quatre juges sur cinq) conclu que l’accusé n’avait pas choisi de plaider coupable « en toute connaissance de cause » et que l’appelant « n'a[vait] pas (…) compris la nature des charges retenues contre lui ou la distinction établie entre les deux chefs d’accusation possibles (…) En choisissant de plaider coupable de crime contre l'humanité et non de crime de guerre, l'appelant a plaidé coupable d'un crime plus grave et d'un crime entraînant une pénalité plus lourde ».
Le 14 janvier 1998, Dražen Erdemović a comparu devant la Chambre de première instance II-ter et a plaidé COUPABLE d’un chef de violation des lois ou coutumes de la guerre (« crime de guerre »).
LE JUGEMENT PORTANT CONDAMNATION
1. Le plaidoyer de culpabilité
La Chambre de première instance a initialement estimé, au regard de l’article 62 bis du Règlement de procédure et de preuve, que l’accusé avait plaidé coupable délibérément, que son plaidoyer n’était pas équivoque et qu'il existait des faits suffisants pour établir le crime et la participation de l'accusé à celui-ci.
La Chambre de première instance s’est dite « convaincue du plaidoyer de culpabilité (…) et par conséquent a condamné l'accusé le même jour ».
2. Les éléments de preuve
La Chambre de première instance a ensuite examiné les éléments de preuve et « a accepté en tant que fait la version des événements présentés par les parties ». « L’accusé a reconnu que les événements rapportés dans l’acte d’accusation sont exacts et le Procureur a reconnu que l’accusé disait la vérité lorsqu’il déclarait avoir commis les actes en question sur l’ordre de ses supérieurs assorti de menaces de mort », a fait remarquer la Chambre.
3. Les circonstances aggravantes
Des centaines de civils musulmans bosniaques de sexe masculin âgés de 17 à 60 ans ont été tués par le peloton d’exécution dont faisait partie l’accusé et l’accusé a abattu à lui seul une centaine de personnes : « Quelle qu’ait pu être sa répugnance initiale à prendre part au massacre, il a continué à tuer durant presque toute la journée. La Chambre de première instance considère que l’ampleur du crime et l’importance du rôle joué par l’accusé constituent une circonstance aggravante (…) »
4. Les circonstances atténuantes :
* Données personnelles de l’accusé :
La Chambre de première instance a tout d’abord pris en compte « les données personnelles » de l’accusé, à savoir son âge (« aujourd’hui 26 [ans] (…) sa personnalité est amendable (…) »), sa situation familiale (“L’accusé est marié à une femme d’une origine ethnique différente de la sienne et le couple a un enfant en bas âge né le 21 octobre 1994 (…) »), ses antécédents (« (…) il était simple fantassin. Il n’a soutenu activement aucun des groupes ethniques en conflit : c’est en effet contre son gré qu’il a successivement fait partie [des forces armées des différentes parties au conflit] »), et sa personnalité (l’accusé a démontré « sa sincérité ; ce trait de caractère est confirmé par ses aveux et la reconnaissance constante de sa culpabilité (…) »).
* La reconnaissance de culpabilité :
La Chambre de première instance a ensuite examiné « la reconnaissance de culpabilité » de l’accusé et l’a « salué[e] » : « Une reconnaissance de culpabilité prouve l’honnêteté de son auteur ; pour le Tribunal international, il est important d’encourager les personnes concernées à se présenter devant lui (…) ».
* Les remords:
La Chambre a également tenus compte des « remords » quel’accusé n’a cessé d’exprimer.
* La coopération avec le Bureau du Procureur :
Enfin, les juges ont reconnu le degré de « coopération avec le Bureau du Procureur ». La Chambre a donc « pris acte » de la déclaration du Procureur selon qui « la collaboration fournie par M. Erdemović a[vait] été tout à fait excellente ». « L’Accusation parle rarement en ces termes d’un accusé », a ajouté la Chambre.
5. La contrainte
La Chambre de première instance a donné effet à l’Arrêt de la Chambre d’appel, aux termes duquel « la contrainte n’est pas un argument de défense suffisant (…) », la Chambre de première instance n’en a tenu compte « que comme circonstance atténuante ». « Au vu du dossier, il apparaît que l’accusé se trouvait dans une situation extrême. La Chambre de première instance a conclu que s’il avait désobéi, il aurait véritablement risqué d’être tué. Il a exprimé ses sentiments, tout en étant bien conscient qu’il n’avait pas le choix : il fallait tuer ou être tué (…) »
6. L’accord sur le plaidoyer conclu entre les parties
Le 8 janvier 1998, juste avant le nouveau plaidoyer de l’accusé et l’audience préalable au prononcé de la sentence, les parties ont conjointement déposé auprès du Greffe une « Requête conjointe aux fins de considération d’un accord sur le plaidoyer ». « Le Tribunal international n’avait encore jamais été saisi d’un document de cette nature », a fait remarquer la Chambre, ajoutant : « Bien qu’elle n’y soit aucunement tenue, la Chambre de première instance a pleinement tenu compte de la Requête pour déterminer quelle sentence imposer à l’accusé. »
7. Politique adoptée par la Chambre en matière de peine
La sentence prononcée par la Chambre de première instance a tenu compte « des conditions dans lesquelles le massacre a eu lieu et, en particulier, du degré de souffrance endurée par les victimes avant et pendant ce massacre, des moyens employés par l’accusé pour tuer et de son attitude au moment des faits (…) ». « Le degré de souffrance endurée par ces victimes ne saurait être minimisé. Toutefois…Il apparaît clairement qu’il n’a pris aucun plaisir pervers à agir comme il l’a fait », a conclu la Chambre.
Les juges saisis de l’affaire ont également décidé « d’évaluer à sa juste mesure la coopération apportée par l’accusé », déclarant qu’ « il est important de faire montre de compréhension à l’égard de ceux qui se livrent au Tribunal international et avouent leur culpabilité si l’on veut encourager les autres suspects et auteurs de crimes inconnus à sortir de l’ombre. Le Tribunal international est, certes, mandaté pour enquêter sur les violations graves du droit international humanitaire, poursuivre et punir leurs auteurs mais plus largement il doit, par sa fonction judiciaire, contribuer au règlement des questions plus vastes qui sous-tendent les méfaits perpétrés en ex-Yougoslavie, telles que la responsabilité, la réconciliation et l’établissement de la vérité. La découverte de la vérité est l’une des pierres angulaires de l’État de droit, une étape fondamentale sur la voie de la réconciliation (…) Par ailleurs, le Tribunal international est le vecteur par lequel la communauté internationale exprime son indignation face aux atrocités commises en ex-Yougoslavie (…) [Le Tribunal ne doit] jamais perdre de vue le destin tragique des victimes et les souffrances de leurs proches ».
OPINION SEPARÉE DU JUGE SHAHABUDDEEN
Le Juge Shahabuddeen a joint au jugement portant condamnation une opinion séparée, dans laquelle il a déclaré : « Je me suis associé, comme il est de mon devoir, aux autres membres de la présente Chambre de première instance pour donner effet au renvoi, sur le fondement des arguments juridiques exposés dans l’Arrêt (…) je dois également préciser que je désire préserver en tant que professionnel ma position personnelle (position que je n’expose pas ici), quant aux arguments juridiques exposés dans l’Arrêt de la Chambre d’appel, afin que l’on n’interprète pas le fait que je me sois associé à leur application comme un acquiescement de ma part », a-t-il expliqué.
Les arguments juridiques en question portent sur « la gravité comparée du crime contre l’humanité et du crime de guerre s’agissant d’un même acte, ainsi que de la question de savoir si, en droit international, la contrainte peut être considérée comme moyen de défense exonérant de toute responsabilité le meurtrier de personnes innocentes (…) ».
LeJuge Shahabuddeen s’est également expliqué sur deux autres points, en rapport avec « certaines difficultés pratiques qu’[’il a] éprouvées en participant à la mise en oeuvre du renvoi », à savoir : « comment interpréter la décision de renvoi quant à la manière exacte dont la présente Chambre de première instance doit s’acquitter de l’obligation qui est la sienne de s’assurer que l’accusé comprend l’acte d’accusation » et « comment, en l’espèce, donner effet aux décisions qui, dans le renvoi, ont trait à la gravité comparée des deux infractions en question, ayant à l’esprit que la présente Chambre de première instance n’est, et ne pouvait être, saisie que d’un seul chef d’accusation »
Le Juge Shahabuddeen conclu ses réflexions ainsi : « La présente Chambre de première instance a cherché à tenir compte de la décision de la Chambre d’appel dont l’effet est que la condamnation prononcée aujourd’hui doit être plus légère que celle qui le serait si la qualification de crime contre l’humanité avait été retenue s’agissant des mêmes actes. La sentence rendue aujourd’hui est bien plus clémente que celle prononcée auparavant pour crime contre l’humanité, et ce, pour de nombreuses raisons. Mais je ne peux dire avec assurance dans quelle mesure ces raisons rendent compte de la décision de la Chambre d’appel ».
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Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
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