« Ce procès va certainement être un test pour la justice pénale internationale.
Il faudra prouver qu’une cour pénale moderne est en mesure de juger des crimes qui obligent à prendre en compte une période si longue et tant de lieux différents ».
Le Procureur Carla del Ponte lors de son discours liminaire dans le procès de Slobodan Milošević
Le procès contre l’ancien président yougoslave Slobodan Milošević est sans précédent : pour la première fois, un ancien chef d’état comparaissait devant une cour internationale de justice pour crimes de guerre. Jamais, auparavant, un tribunal international n’avait eu à relever le défi de juger un chef d’état pour des crimes commis dans trois pays différents et au cours d’une période de presque dix ans.
Le Tribunal entra dans l’histoire en dressant, le 24 mai 1999, un acte d’accusation à l’encontre de Slobodan Milošević pour les crimes commis au Kosovo. Le TPIY devenait alors le premier tribunal international à accuser un chef d’état en exercice. Après son transfert au Quartier pénitentiaire, le 29 juin 2001, le Tribunal confirma deux actes d’accusation supplémentaires à l’encontre de Slobodan Milošević : le 8 octobre 2001, il était inculpé pour des crimes commis en Croatie, et le 22 novembre 2001 pour des crimes commis en Bosnie- Herzégovine.
Avant même qu’il ne débute, ce procès imposait au Tribunal de résoudre de nombreuses difficultés de procédure. Premièrement, Slobodan Milošević avait décidé d’assurer sa propre défense -comme l’autorise l’article 21d du Statut du Tribunal. Il avait informé le Tribunal de son intention lors de sa comparution initiale, le 3 juillet 2001. Afin d’assister la Cour, le 30 août 2001, la Chambre de première instance désigna un conseil qui devait agir comme amicus curiae (ami de la cour). Lors du procès, les personnes suivantes officièrent comme amici curiae : Michail Wladimiroff (Pays-Bas), Branislav Tapušković (Serbie), Steven Kay (Royaume-Uni), et Timothy McCormack (Australie).
La seconde grande question de procédure était de savoir si Slobodan Milošević devait être jugé pour les crimes commis au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine et en Croatie en un seul procès, ou en des procès différents. Pour l’Accusation, ces crimes devaient faire l’objet d’un seul procès car ils faisaient partie d’une entreprise criminelle commune, chaque acte d’accusation révélant le même but et les mêmes moyens mis en œuvre pour y parvenir. L’Accusation affirmait aussi qu’un seul procès serait plus efficace et plus économique. Bien que la Chambre de première instance ait statué que seules la Croatie et la Bosnie-Herzégovine devaient faire l’objet d’un procès commun, la Chambre d’appel annula cette décision et ordonna que les trois actes d’accusation constituent un procès commun, commençant par l’affaire du Kosovo.
Le procès contre Slobodan Milošević débuta le 12 février 2002, avec la déclaration liminaire du procureur Carla Del Ponte devant la Chambre de première instance, où siégeaient les juges Richard May (Président de la Chambre), Patrick Robinson et O-Gon Kwon.
Pour la Chambre, l'une des plus grandes difficultés à surmonter consistait à permettre la présentation des éléments de preuve relatifs à tant de crimes, et à représenter équitablement les centaines de milliers de victimes tout en respectant le droit de l'accusé à un procès rapide et à une défense de son choix. L’Accusation, la Défense et la Chambre de première instance s’entretenaient fréquemment au sujet des difficultés liées à la gestion du temps -celui nécessaire à la présentation des moyens à charge et à décharge-, qui faisait l’objet pour chacune des parties de méticuleux calculs par la Chambre de première instance.
Une solution innovante adoptée par le Procureur a consisté à présenter par écrit des témoignages de victimes (voir l’article 92 bis du Règlement de procédure et de preuve). Au lieu de demander à la victime de témoigner en audience publique, l’Accusation lisait un résumé de sa déclaration avant de confier le témoin à la Défense pour le contre-interrogatoire.
Dès le début du procès, la santé de Slobodan Milošević constitua une difficulté dont la Chambre de première instance devait tenir compte : entre le début du procès et septembre 2003, plus de 50 jours de procès avaient déjà été annulés pour cette raison. Au total, 76 jours furent annulés pour raisons de santé. Se conformant aux recommandations contenues dans le rapport d’un cardiologue, la Chambre statua qu’elle ne siègerait que trois jours par semaine, laissant ainsi quatre jours de repos à Milošević. Les jours annulés, auxquels s’ajoutèrent ces semaines de trois jours, prolongèrent considérablement la durée du procès.
Malgré ces mesures, la santé de Slobodan Milošević continua à peser sur la conduite du procès. Le début de la présentation des moyens à décharge dut être différé à plusieurs reprises, pour ne commencer que le 31 août 2004 -six mois après la fin de la présentation des moyens à charge. Se référant de nouveau aux rapports médicaux de deux cardiologues, la Chambre de première instance décida que Milošević n’avait pas les conditions physiques lui permettant de prendre en charge sa propre défense, et demanda au Greffe de nommer un conseil de défense. Milošević interjeta appel de cette décision et obtint gain de cause. La Chambre d’Appel statua que Milošević n’avait à être représenté par un conseil que lorsque sa santé ne lui permettait pas d’assurer sa propre défense. En pratique, cela signifiait que le conseil, nommé par le greffier pour représenter Milošević, était mis « en attente », pour prendre la relève en cas de nécessités médicales.
Ces mesures furent maintenues pendant toute la période de présentation des moyens à décharge, Slobodan Milošević assurant presque toujours sa défense lui-même, sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours au conseil mis à sa disposition, et malgré diverses interruptions et de nombreux retards dans la procédure dus à ses problèmes de santé. Un jour où Milošević n’était pas en mesure de se rendre à l’audience pour raison médicale, le témoin Kosta Bulatović (ancien premier Ministre du Monténégro), qui devait intervenir à ce moment-là pour la Défense, refusa de répondre aux questions du contre-interrogatoire jusqu’au retour de l’accusé, indiquant implicitement qu’il ne reconnaissait pas l’autorité du conseil. Le Tribunal poursuivit plus tard Bulatović pour outrage à la cour.
Juste avant la clôture de la présentation des moyens à charge de l’Accusation, le juge président Richard May ,fut contraint de quitter ses fonctions pour raisons médicales. Le juge Patrick Robinson lui succéda, et le juge Iain Bonomy joignit la Chambre de première instance.
Quand prit fin la présentation des moyens à charge, le 25 février 2004, les amici curiae formulèrent une requête en faveur de l’accusé pour que celui-ci soit acquitté, déclarant que les éléments de preuve fournis par l’Accusation étaient insuffisants pour convaincre la Chambre de première instance de la culpabilité de Milošević (lire l’article 98 bis du Règlement de procédure et de preuve). Le 16 juin 2004, la Chambre de première instance statua que l’Accusation avait fourni des éléments de preuve qui pouvaient être suffisants pour que l’accusé soit condamné, alors que la Défense n’avait encore présenté aucun élément de preuve, pour les 66 chefs d’accusation dont il était accusé. La Chambre de première instance fit remarquer que cela ne signifiait pas qu’elle devait condamner l’accusé ni qu’elle allait le faire.
Toutefois, la Chambre de première instance conclut que l’Accusation n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour soutenir au delà du doute raisonnable les allégations de culpabilité de Milošević relatives à des lieux de crimes mentionnés dans certains des chefs d’accusation (voir la décision 98bis de la Chambre de première instance). Slobodan Milošević commença à assurer sa propre défense le 31 août 2004.
Le 11 mars 2006, alors qu’il ne lui restait que quelques semaines pour clôturer sa défense, Milošević fut trouvé mort dans sa cellule du Quartier pénitentiaire des Nations Unies. Les rapports d’autopsie fournis par l’institut médicolégal néerlandais et les éléments de l’enquête conduite par le le juge Kevin Parker (vice-président du Tribunal), conclurent que Slobodan Milošević était mort de cause naturelle.
Les juges mirent formellement fin au procès de Slobodan Milošević le 14 mars 2006. Pendant les 170 jours du procès, répartis sur une période de quatre ans, la cour entendit 347 témoins et admit environ 1000 éléments de preuves, certains d’entre eux contenant plus de 100 documents. Le procès constitua un forum pour de nombreuses victimes, leur permettant de relater leurs douloureuses histoires. De nombreux dirigeants hauts placés de l’ex-Yougoslavie et des représentants de la communauté internationale furent entendus pour la première fois au sujet d’évènements importants des guerres des années 1990. Enfin, un grand nombre de documents, de vidéos et de conversations interceptées furent produites pour la première fois dans une salle d’audience du Tribunal. Ces éléments font partie des archives publiques et restent à la disposition des enquêteurs et des membres de l’Accusation de la région pour de futurs jugements pour crimes de guerre. Ils sont également à la disposition d’historiens, de chercheurs et des membres de la société civile.
Dans un communiqué de presse faisant suite au décès de Slobodan Milošević, le procureur Carla Del Ponte, regrettant que ce procès n’aboutisse pas à un jugement, déclara que les crimes dont Milošević avait dû répondre ne pouvaient rester impunis. D’autres dirigeants, détenus par la Tribunal ou encore en fuite, sont mis en accusation pour les mêmes crimes et doivent être traduits en justice.