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Hrvoje Šarinić décrit le point de vue de Slobodan Milošević, exprimé lors d'une réunion du 20 septembre 1995, selon lequel la Bosnie-Herzégovine devait faire l’objet d’un partage entre la Serbie et la Croatie:
« À l'occasion de cette réunion-là, l'accusé m'a dit : "Ecoutez, cela suffit, Hrvoje. Il faut que nous prenions chacun notre partie de la Bosnie et ceci sans la communauté internationale, sans les Etats-Unis. Ils sont en train de bercer ce bâtard mais ils ne savent pas ce qu'ils font et ne connaissent rien à nos problèmes. Alors soyez présent à la conférence", il n'a pas dit Dayton, mais c'était bien Dayton. "Gardez la même ligne que nous. Nous sommes absolument contre l'existence d'une Bosnie unitaire, mais pour une Bosnie de deux entités et de trois nations où toutes les décisions seraient prises par consensus." Voilà, je crois vous avoir interprété la teneur de ce qui a constitué nos échanges. »
Hrvoje Šarinić fait part du point de vue exprimé par Milošević au sujet du Kosovo lors d'une réunion qui s’était tenue le 10 mars 1998:
« Il a été question, entre autres, du Kosovo. C’était un sujet inévitable à cette époque. Il a dit qu'il allait résoudre le problème du Kosovo. Ou, plutôt, je lui ai demandé : "Dites-moi comment vous voyez la question du Kosovo, parce que les gens de la communauté internationale viennent en Croatie et nous demandent ce que nous en pensons." Alors il m'a rétorqué : "Nous allons organiser un parlement à deux chambres où il n'y aura pas de mise en minorité systématique..." Et je lui ai dit : " Monsieur le Président, je veux bien, mais c'est beaucoup moins que ce que le Kosovo avait obtenu dans la constitution de 1974." Il a répondu : "Oui, mais cela avait été une erreur que nous n'allons pas répéter, quel qu'en soit le prix.” »
Hrvoje Šarinić informe la Chambre d'une conversation qu'il avait eu avec Milošević et qui montrait le type de relation que celui-ci entretenait avec le Premier ministre serbe, Borislav Mikelić:
« On a évoqué le problème de l'ouverture de l'autoroute, et les problèmes qui se posaient. Lorsque j’ai dit "Ceci ne peut pas se résoudre de cette manière-là." l'accusé a dit à sa secrétaire : "Appelez-moi Boro Mikelić." J'ai été plutôt étonné car en l'espace de dix ou quinze minutes, il est arrivé de quelque part à Belgrade. Quand il m'a vu là, il m'a dit : "Que faites-vous ici ?" L'accusé lui a répondu : "Installe-toi ici, écoute, et ne pose pas de questions." Cela a été dit sur un tel ton, de telle manière, que j'ai pu voir ce rapport qui était un rapport du chef envers, pour ne pas dire ses "servants," disons… des personnes qui lui obéissaient, qui étaient à son service. »
Hrvoje Šarinić a rencontré Slobodan Milošević à diverses reprises, et parmi les hauts représentants de l’ex-Yougoslavie à avoir déposé dans cette affaire, il est peut-être celui qui a présenté le témoignage le plus important. Šarinić a apporté des éléments de preuve corroborant les allégations de l’Accusation selon lesquelles Milošević avait l’intention de s’emparer d’une partie de la Bosnie-Herzégovine, partageant ainsi le pays avec le président croate Franjo Tudjman (accusé en tant que coauteur des crimes commis en Bosnie).
Šarinić a fait état de nombre de ses conversations avec Slobodan Milošević, qui montraient les intentions de ce dernier vis-à-vis de la Bosnie-Herzégovine. Outre la première déclaration citée plus haut, Milošević a dit à Šarinić que la Republika Srpska (l’entité de Bosnie-Herzégovine orientale contrôlée par les Serbes), lui permettait de résoudre 90 pour cent de la question nationale serbe, tout comme le Président Tudjman résolvait la question nationale croate avec la Herceg-Bosna (l’entité contrôlée par les Croates, à l’ouest du pays.) A un autre moment, Šarinić a demandé à Milošević pourquoi il ne reconnaissait pas la Bosnie-Herzégovine. Milošević a répondu: « De quelle Bosnie parlez-vous, à qui est cette Bosnie, qu'est-ce que cette Bosnie ?" Donc pour Šarinić, « il niait totalement l'existence et la possibilité de l'existence de la Bosnie. »
Šarinić a déclaré que, de son côté, le président croate Tudjman avait également des vues sur la Bosnie-Herzégovine. « Le Président Tudjman, en tant qu’historien, » a rapporté Šarinić, disait « que la Bosnie était historiquement absurde, qu'elle était le résultat des conquêtes turques du XVe siècle.»
La déposition de Šarinić a révélé quel était l'état d'esprit de Milošević par rapport aux Musulmans de Bosnie. Šarinić a rapporté qu’après une rencontre entre Milošević et le président Tudjman, le 15 avril 1991, Tudjman avait montré à Šarinić une feuille de papier que Milošević lui avait donnée. Cette note disait que les Musulmans constituaient « un grand mal », et que cette « transversale verte » de régions peuplées par des Musulmans allant de la Turquie au Sandžak (au sud de la Serbie) en traversant la Bulgarie, la Macédoine occidentale et le Kosovo, constituait « une grande menace pour la Bosnie et pour la paix dans la région.» Lors d'une autre rencontre, Milošević a dit également à Šarinić que les Musulmans constituaient un grand mal en raison de leur explosion démographique.
Au fil de nombreuses réunions, Šarinić a pu se former une opinion sur les relations que Milošević entretenait avec de nombreuses personnalités parmi les dirigeants serbes de Croatie, serbes de Bosnie et yougoslaves, constatant, comme le soutenait l'Accusation, que Slobodan Milošević exerçait un contrôle effectif sur nombre d’entre eux. Comme l’indique la troisième citation ci-dessus, Šarinić a vu Slobodan Milošević traiter le Premier ministre croate Borislav Mikelić comme un subordonné. Šarinić a déclaré que lorsque certains responsables n’étaient plus dans ses faveurs, Milošević cherchait à les mettre à l’écart ou à les remplacer.
Šarinić a également rapporté un échange très intéressant qu'il avait eu avec Milošević, corroborant l’allégation selon laquelle Željko Ražnatović, dit Arkan, qui était accusé de nombreux crimes, était un des hommes de Milošević. Lors de sa réunion du 13 novembre 1995 avec Milošević, Šarinić l’a interrogé sur Arkan, car il avait connaissance de ses méfaits. Milošević a répondu, sous forme de boutade, « Il faut bien que quelqu'un s'occupe du boulot pour moi. » Sarinić estimait que, même si ce commentaire avait été fait sur un ton léger, Milošević entendait par là qu’un homme politique avait besoin d’hommes comme Arkan.
Hrvoje Šarinić a été nommé Chef du cabinet du président Franjo Tudjman en 1990, dont il a été le conseiller jusqu’en 1998. Il a occupé le poste de Premier ministre croate de 1992 à 1993, puis a exercé d’autres hautes fonctions au cours des années 1990, dont celle de chef de l’Agence de sécurité nationale. Il a assuré la liaison avec les représentants de l’ONU et la force de maintien de la paix des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine, la « FORPRONU ». Šarinić a également été l’agent de liaison entre le président Tudjman et Slobodan Milošević.
Lire le témoignage complet de Hrvoje Šarinić du 21 janvier 2004 et du 22 janvier 2004.