Site Internet consacré à l’héritage du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

Depuis la fermeture du TPIY le 31 décembre 2017, le Mécanisme alimente ce site Internet dans le cadre de sa mission visant à préserver et promouvoir l’héritage des Tribunaux pénaux internationaux.

 Consultez le site Internet du Mécanisme.

Vlado Vuković


« Monsieur Milošević, les gens de ces trois ou quatre maisons à Saborsko ont été avec nous jusqu'à la chute du village. Ils n'ont pas eu de problèmes avec nous, pas plus que nous n'en avons eu avec eux. Pendant la guerre, nous avons même été ensemble. Nous étions voisins, nous nous connaissions bien. »

Vlado Vuković, a de nationalité croate, décrit les relations entre les Serbes et les Croates dans son village de Bosnie orientale. Il a témoigné  au procès de Slobodan Milošević le 3 juillet 2003, et au procès de Milan Martić les 27 et 28 mars 2006.


Les tensions étaient déjà fortes dans la partie centre-est de la Croatie lorsque, le 1er avril 1991, un conflit armé a éclaté entre les forces croates et les forces serbes dans le parc national des lacs de Plitvice, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. A cette époque,  Vlado Vuković était agent de police et avait 29 ans. Il travaillait au poste de police de la ville d’Ogulin, située dans la région. Suite à l’incident de Plitvice, il s’est rendu avec une vingtaine de policiers du poste de Police d’Ogulin,  à  Saborsko, un village de 300 maisons situé près de  Plitvice. Ils y ont établi un avant-poste. Dans sa déposition pour le Bureau du Procureur et aux procès de Slobodan Milošević, et de l’ancien dirigeant des Serbes de Croatie Milan Martić, il a décrit comment les tensions se sont faites plus vives dans ce secteur au printemps et en été 1991.

Vlado Vuković a relaté qu'en avril 1991 les dirigeants Serbes de Croatie locaux ont organisé une manifestation dans la ville voisine de Plaški, exigeant une police serbe ethniquement pure. En juin, les fonctionnaires de police ont changé les insignes de leurs uniformes pour y apposer «Militia Krajina », marquant ainsi leur adhésion aux efforts de création d’un état dominé par les Serbes. Pendant la même période, la Police de Martić («Martičevci»), dirigée par Milan Martić (condamné plus tard par le Tribunal pour des crimes commis en Croatie), a commencé à exercer dans ce secteur, arrêtant et fouillant fréquemment les autocars qui transportaient des civils. 

Le 5 août 1991, il venait de finir son tour de garde nocturne, en tant qu’officier chargé des opérations/officier de permanence au poste de Saborsko, lorsque les forces serbes ont attaqué le village. Entre 6 heures et 10 heures ce matin-là, quelque 80 obus sont tombés sur le village. Vlado Vuković a toutefois déclaré que ces obus n'avaient causé aucun dégât. La plupart des civils de Saborsko qui avaient quitté le village au début des bombardements- parmi lesquels se trouvaient des femmes, des enfants et des personnes âgées- sont revenus le jour suivant. Ils avaient très peur, a-t-il précisé, et cherchaient à se protéger dans des abris durant les bombardements.

La police de Saborsko comptait à ce moment-là une trentaine d’officiers, dont Vlado Vuković. Il a décrit, dans sa déposition, la situation dans laquelle il se trouvait en tant que policier alors que le village était bombardé : « Un policier n'a pas de mortier, de canon, ou de chars. Il n’a que des armes individuelles, un fusil ou un pistolet. Nous [les policiers] ne sommes pas allés là-bas pour faire la guerre, nous sommes venus pour maintenir l'ordre publique et la sécurité au sein de l’État. Mais nous ne pouvions pas nous attendre à ce qu'il y ait une attaque ouverte le 5 août. »

Vlado Vuković a rapporé que les forces serbes avaient pilonné Saborsko pratiquement tous les jours, parfois au moyen de bombes à fragmentation. Ils ont détruit un grand nombre de maisons : « Il est tombé chaque jour entre 100 et 200 obus sur le village de Saborsko, jusqu’au 23 septembre [1991] », a-t-il déclaré. « Et nous avons demandé de l’aide parce qu’on  était livrés à nous-mêmes, et les bombardements continuaient. Ils utilisaient des obus de 122 millimètres, que je sache. Et après, Dieu sait ce qu’ils ont utilisé. » 

Le 29 septembre 1991, Vlado Vuković  a été capturé, avec deux autres officiers de police, par des membres de la police de Martić. Ils ont tout d’abord été conduits à la prison de la ville de Plaški. Il y a été battu, à plusieurs reprises et pendant les 12 jours de sa détention, par des membres de cette police. « Un jour Nikola Madaković, un dirigeant serbe, m’a frappé avec sa ceinture» a-t-il rapporté. «Je connaissais de nombreux policiers qui se trouvaient là car j’avais travaillé avec eux dans la police à une époque. »

Vlado Vuković a ensuite été transféré à la prison de  Korenica, située dans le même secteur de Croatie orientale, et il y a également été sévèrement battu. « Ils m’ont cassé les dents, j’ai été coupé [au visage avec un couteau] puis ils m’ont placé en isolement. Ces passages à tabac étaient très fréquents. »

Après une douzaine de jours, il a été conduit par l’Armée populaire yougoslave (JNA), avec les autres prisonniers, dans un aéroport qui se trouvait près de Bihać, à l’est de la Croatie, à la frontière avec la Bosnie-Herzégovine. Il y a été détenu pendant plus de cinq jours et battu par des membres de la police militaire de la JNA, ses anciens collègues serbes de la police de Zagreb. Il a ensuite été transféré au camp de détention de Manjača, près de Banja Luka en Bosnie-Herzégovine, où il a été détenu dans des hangars à bestiaux. Le 9 novembre 1991, il a été échangé, avec environ 200 autres prisonniers, contre des officiers et des soldats serbes de la JNA.

Quelques années plus tard, vers le 6 ou le 7 août 1995, lors de l’opération armée croate visant à reprendre les parties du territoire sous contrôle serbe (l’ « Opération Tempête »), M. Vuković est revenu à Saborsko. Il n’a pas reconnu son village. «  Il n’existait plus », a-t-il déclaré. «  Il était recouvert par la végétation, et la route aussi. Il y avait des buissons partout. Il n’y avait plus rien. C’était un lieu fantôme, rien que des épines et des buissons.»  Quand on lui a demandé si les maisons de Saborsko avaient été endommagées, il a répondu « Ce n’est pas seulement qu’elles avaient été endommagées ; la ville n’existait plus. Je n’ai pas vu une seule maison. Je n’ai reconnu que l’église. C’était un amas de décombres.» 

Le 18 octobre 1995, M. Vuković a commencé à apporter son aide à une équipe de Zagreb qui effectuait des exhumations à Saborsko. Dans le premier charnier du secteur, situé à Popov Šanac, ils ont trouvé 14 corps ; dans le deuxième, situé à Borik (Brdine), trois corps se trouvaient dans une tombe et un autre était étendu sur le sol. Ils ont aussi découvert trois squelettes de personnes âgées dans les ruines de leurs maisons carbonisées. « C’était des cadavres de gens qui avaient tous entre 60 et 70 ans environ, des hommes, et aussi des femmes » a-t-il déclaré. «  C’était tous des civils(…)à l’exception d’un policier croate.» Au total, 28 ou 29 corps ont été retrouvés dans le village et sept étaient toujours portés disparus le 27 mars 2006, lorsque Vlado Vuković a témoigné au Tribunal, au procès de Milan Martić.

Vlado Vuković était le 200ème témoin à déposer au procès de l’ancien Président serbe Slobodan Milošević, le 3 juillet 2003. Dans ce procès, de nombreux témoignages de victimes ont été déposés par écrit, comme moyens de preuve, puis présentés à l’audience pour que le témoin puisse répondre aux questions des juges ou de l’accusé. Vlado Vuković a relaté ces évènements à un enquêteur du Bureau du Procureur du TPIY les 18 et 20 janvier 2001. Slobodan Milošević, qui devait répondre de crimes commis dans le village croate de Saborsko, entre autres lieux, est mort en détention le 11 mars 2006, et les procédures engagées contre lui ont pris fin. Les 27 et 28 mars 2006,  Vlado Vuković a témoigné au sujet des mêmes évènements au procès d'un coauteur présumé des crimes dont Slobodan Milošević devait répondre, le dirigeant des Serbes de Croatie Milan Martić (condamné par le Tribunal à une peine de 35 années d'emprisonnement.)

>> Lire le témoignage complet de Vlado Vuković et sa déclaration en tant que témoin (en anglais) au procès de Slobodan Milošević. Lire également, son témoignage complet  au procès de Milan Martić du 27 mars 2006 et du 28 mars 2006.