l'ex-Yougoslavie, devant la Commission préparatoire de la Cour Pénale Internationale.
Veuillez trouver ci-dessous le texte intégral de l’allocution prononcée le 19 juin 2000, à New York, par le Président Jorda devant la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale.
M. le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,
C’est un très grand honneur pour moi de prendre la parole à l’occasion de la réunion
de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale.
Les membres du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie ont, depuis le début, manifesté un vif intérêt pour les travaux qui sont à l’origine du Statut et du futur Règlement de la Cour. Madame Arbour, Madame de Sampayo Garrido-Nijgh, Madame McDonald et Monsieur May se sont successivement adressés à votre Assemblée. Fort de leurs expériences de Procureur, de Greffier ou de Juge du Tribunal, ils ont contribué, chacun à leur manière, à votre travail d’élaboration des textes de la Cour. Plusieurs juristes du bureau du Procureur et des chambres du Tribunal ont également été présents pendant ces négociations et ont répondu à vos interrogations.
Pour ma part, je n’ai pas l’intention de vous donner des conseils techniques ou pratiques qui ne vous seraient que d’une utilité limitée à ce stade final des discussions. Je souhaite seulement vous faire passer un message très simple qui peut être résumé en quelques mots: quelles que soient les règles de procédure et de preuve que vous adoptiez, il est important qu’elles soient suffisamment flexibles pour permettre aux juges de faire face aux imprévus que générera inévitablement la répression des violations graves du droit humanitaire qui relèvent de la compétence de la Cour.
Permettez-moi d’illustrer brièvement ce message par des exemples tirés de notre expérience.
L’adoption du Règlement de procédure et de preuve, un travail difficile et ambitieux
Le Conseil de sécurité des Nations Unies nous a confié - à nous, juges du Tribunal - la délicate mission d’adopter nos règles de procédure et de preuve. Si nous étions en quelque sorte privilégiés, nous étions également confrontés à un travail difficile, ambitieux et qui devait être accompli dans les plus brefs délais.
Nous étions en quelque sorte privilégiés, parce que nous étions investis d’un pouvoir législatif extraordinaire qui s’est révélé être un outil indispensable à la réalisation de notre mission. En effet, nous avons pu adapter nos règles aux exigences sans cesse renouvelées de la poursuite et du jugement des personnes accusées. J’y reviendrai par la suite. Nous n’ignorons bien sûr pas que cette fonction législative est exorbitante et critiquable. Il va toutefois sans dire que nous avons toujours veillé tout particulièrement à respecter les exigences les plus élaborées de protection des droits de l’homme, telles que garanties dans les Conventions internationales.
Nous étions confrontés à un travail difficile et ambitieux, parce que tout d’abord nous n’avions pas de précédent sur lequel nous baser pour choisir et rédiger nos règles. Il s’agissait en effet du premier code de procédure pénale internationale de l’histoire : les juridictions de Nuremberg et de Tokyo qui ont précédé le Tribunal étaient, comme vous le savez, toutes deux dotées de règlements moins élaborés. Mais plus fondamentalement, nous étions, comme vous aujourd’hui, confrontés à la difficulté d’imaginer abstraitement toutes les règles de procédure dont nous aurions un jour besoin pour mettre en śuvre un droit aussi évolutif que le droit pénal international.
Nous devions enfin choisir notre Règlement très rapidement, car sans celui-ci, le Tribunal, qui venait d’être créer pour contribuer à la restauration de la paix dans les Balkans, ne pouvait pas fonctionner et répondre aux attentes grandissantes de la Communauté internationale.
L’adaptation constante du Règlement de procédure et de preuve à l’évolution de la pratique judiciaire, une nécessité
En juillet 1994, nous avons opté pour un code de procédure relativement succinct : un peu plus de cent dispositions régissaient l’ensemble de l’organisation et du fonctionnement du Tribunal. Il était de nature essentiellement accusatoire : la maîtrise de la phase préparatoire du procès et de l’audience était confiée au Procureur et à la défense sous le contrôle du juge.
A cette époque, nous ne soupçonnions pas que ces règles puissent se révéler quelques années plus tard imparfaites pour gérer promptement et efficacement les affaires dont nous serions un jour saisis. En effet, à l’été 1998, alors que la liste des accusés s’élevait à 25 personnes, seules deux d’entre elles avaient été jugées, aucune de façon définitive.
Nous avons alors adapté notre Règlement et l’avons progressivement réformé pour faire face à la lenteur et à la lourdeur des procédures. Nous avons, par exemple, créé la fonction de juge de la mise en état dont le rôle est d’assurer le bon déroulement de la phase préparatoire du procès. Nous avons également redéfini les tâches du juge à l’audience, en lui donnant davantage de pouvoir de contrôle sur le débat judiciaire. Nous avons aussi adopté de nouvelles dispositions régissant l’admission des preuves.
A cet effet, nous avons mis en śuvre les recommandations du groupe d’experts mandaté par les Nations Unies pour évaluer notre travail.
Toujours dans la perspective de rendre notre système le mieux adapté possible à nos besoins - qui résultent aujourd’hui de l’accroissement considérable de notre charge de travail - sans jamais méconnaître les exigences du procès équitable, nous avons récemment engagé une réflexion d’ordre général sur les moyens de juger dans des délais raisonnables tous les accusés qui sont - et seront - en détention. Je présenterai cette semaine aux membres permanents du Conseil de sécurité les résultats de notre étude, lesquels figurent dans un Rapport qui a été communiqué au Secrétaire général le 12 mai dernier.
Les juges ont envisagé plusieurs solutions et ont analysé leurs avantages et inconvénients respectifs. Ils ont même considéré la délocalisation de certaines affaires - c’est-à-dire le jugement de celles-ci par les juridictions des Etats membres des Nations Unies, dont celles de l’ex-Yougoslavie. Même si elle rend la gestion des affaires plus transparentes à l’égard des populations locales et aide dès lors à la réconciliation nationale, le choix de cette mesure ne favoriserait pas le développement d’une justice pénale internationale unifiée et paraît en tout état de cause prématuré.
Les juges ont en fin de compte privilégié l’adoption d’une solution flexible qui permettrait d’accélérer les procès, sans toutefois bouleverser le système de procédure actuel, ni porter atteinte aux droits de l’accusé. Il s’agit d’une part d’accélérer la mise en état des affaires par une utilisation accrue des juristes d’expérience. Il s’agit d’autre part d’augmenter la capacité de jugement du Tribunal par la mise à disposition d’une réserve de juges ad litem par les Etats membres. Il serait ainsi fait appel à ces juges pour qu’ils statuent sur des affaires déterminées en fonction de l’évolution de nos besoins futurs. Ce système qui nécessiterait de modifier le Statut du Tribunal devrait permettre de faciliter considérablement la résolution de nos affaires et d’achever notre travail en moitié moins de temps qu’il nous en faudrait actuellement.
Quelques enseignements tirés de l’expérience du Tribunal
Tout cela pour vous dire, que l’expérience du Tribunal nous a appris combien il était difficile de prévoir et d’envisager abstraitement, par des règles de procédure aussi élaborées soient-elles, toutes les difficultés que pourrait entraîner la répression internationale des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Vous avez certes créé, à l’issue d’un travail législatif remarquable de près de deux années, un Règlement beaucoup plus abouti que le nôtre. Il constitue à maints égards un progrès louable et essentiel. Je pense par exemple à la victime, dont les droits fondamentaux de participation dans la procédure et de réparation des dommages, sont désormais légalement reconnus.
Et si à l’avenir, elle devait être confrontée à des problèmes majeurs, la Cour pourra toujours s’adresser à l’Assemblée des Etats Parties - comme nous nous en référons aujourd’hui au Conseil de sécurité - pour qu’elle prenne les mesures qui s’imposent pour y remédier.
Il n’en demeure pas moins important de garder à l’esprit le fait que, dans certains cas, les juges sont mieux à même que quiconque de réagir promptement et efficacement aux difficultés qu’engendre inévitablement la gestion de leurs activités quotidiennes.
Je voudrais en guise de conclusion vous redire combien il est, dès lors, important d’adopter des règles qui soient suffisamment souples pour permettre aux juges de pallier par eux-mêmes certaines lacunes et imperfections que seule la pratique judiciaire révélera.
Je vous remercie de votre attention.