Site Internet consacré à l’héritage du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

Depuis la fermeture du TPIY le 31 décembre 2017, le Mécanisme alimente ce site Internet dans le cadre de sa mission visant à préserver et promouvoir l’héritage des Tribunaux pénaux internationaux.

 Consultez le site Internet du Mécanisme.

Allocution de son Excellence le Juge Theodor Meron, Président du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, devant le Conseil de sécurité des Nations Unies

Press Release . Communiqué de presse

(Exclusively for the use of the media. Not an official document)


PRESIDENT
PRÉSIDENT:

La Haye, 10 octobre 2003

JL/S.P.I./790-f




ALLOCUTION DE SON EXCELLENCE LE JUGE THEODOR MERON, PRÉSIDENT DU TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE, DEVANT LE CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES

9 OCTOBRE 2003


Le texte ci-dessous a été distribué aux membres du Conseil de sécurité, le 9 octobre 2003.


Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,


C’est pour moi un grand honneur de prendre la parole devant le Conseil de sécurité pour lui présenter le dixième rapport annuel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.


Je tiens tout d’abord à vous exprimer ma profonde gratitude pour le soutien que vous n’avez cessé d’apporter au Tribunal.


Je suis particulièrement heureux de m’adresser au Conseil présidé par son Excellence Monsieur Negroponte, ambassadeur des États-Unis à l’ONU.


Je tiens également à rendre hommage à la sagesse et au dévouement de mon prédécesseur au poste de Président du Tribunal, Monsieur Claude Jorda, de France, qui a exercé cette fonction pendant une grande partie de la période considérée dans le rapport que je vous présente aujourd’hui.


Dans la résolution 1503 du 28 août 2003, le Conseil a expressément prié les Présidents du TPIY et du TPIR d’expliquer, dans leurs rapports annuels adressés au Conseil, comment ils envisagent d’appliquer les stratégies d’achèvement des travaux de leur Tribunal. Soucieux de répondre à cette demande, je consacrerai, cet après-midi, une grande partie de mon allocution à la stratégie
d’achèvement des travaux du TPIY. Mais avant cela, je souhaiterais vous présenter un bref exposé des activités du Tribunal pendant l’exercice écoulé et, à l’occasion du dixième anniversaire du Tribunal, je tenterai de les situer dans le contexte des tâches accomplies tout au long de cette décennie.


Il y a dix ans, dans sa résolution 827 (1993), le Conseil de sécurité créait le TPIY dans l’espoir que celui-ci fasse plus que rendre la justice en punissant des malfaiteurs. Il s’agissait aussi de faciliter le recensement objectif des atrocités commises pendant les conflits en ex-Yougoslavie et de faire savoir aux victimes que leurs souffrances n’étaient pas ignorées. Tout cela
contribuerait à la reconstruction des républiques de l’ex-Yougoslavie et à la réconciliation de ses peuples.


Notre tâche a consisté, selon une formule empruntée au Juge Robert Jackson, Procureur général des États-Unis à Nuremberg, à dresser patiemment et posément la liste des crimes qui ont déchiré les Balkans dans les années 1990 et dévasté des centaines de milliers de vies. Devant l’ampleur de ces crimes ? meurtres, viols, expulsions, tortures, destructions et traitements cruels ? il
semblait bien qu’aucun tribunal ne parviendrait à lui seul à rendre davantage que des fragments de justice. Pourtant le TPIY, certes après des débuts d’une lenteur pénible, a rendu la justice avec de plus en plus de confiance et d’efficacité et grâce à lui, un nombre considérable d’accusés de haut rang ont dû répondre de leurs actes.


Le TPIY est le laboratoire d’une immense expérience de coopération internationale et de création d’une institution juridique. Il comprend seize juges permanents provenant de seize pays et neuf juges ad litem originaires de huit autres nations. Les juges siègent dans trois chambres de première instance, représentant au total neuf collèges de trois juges, et dans une chambre
d’appel. Vingt-huit procès impliquant 44 accusés ont été engagés en première instance et 31 accusés sont en attente de leur procès. Quinze autres accusés ont plaidé coupable. En quelque dix ans d’activité, les chambres du Tribunal ont rendu des centaines de décisions.


Quarante-quatre accusés ont été jugés à ce jour et cinq au total, dans trois affaires distinctes, ont été acquittés. Il est certes important que le Tribunal soit capable de déclarer, après mûre réflexion, des accusés coupables des crimes atroces relevant de sa compétence, mais il n’est pas moins essentiel, pour l’équité et la légitimité de son action, qu’il reste déterminé à
acquitter les accusés dont l’Accusation n’est pas parvenue à établir la culpabilité.


Dans l’exercice écoulé, les activités du Tribunal ont atteint un rythme inégalé. Le Tribunal continue d’honorer les engagements pris devant le Conseil de Sécurité. C'est ainsi que ses Chambres de première instance entendent entre quatre et six procès simultanément, les audiences se tenant le matin et l’après-midi dans chacun des trois prétoires. Pendant l'exercice considéré, elles
ont examiné vingt-neuf affaires au fond (ainsi que trois affaires d'outrage au Tribunal) et rendu quatre jugements au fond ou portant condamnation. Le procès de Slobodan Miloševic, ancien chef d’État de la République fédérale de Yougoslavie, s’est poursuivi devant la Chambre de première instance III. L’état de santé de l’accusé a occasionné de nombreux retards dans une affaire
particulièrement complexe, qui regroupe trois actes d’accusations initialement séparés concernant le Kosovo, la Croatie et la Bosnie, soit au total 66 chefs d’accusation, des centaines de témoins et des dizaines de milliers de pages de documents dont la plupart doivent être traduites du serbo-croate vers l’anglais et le français, qui sont les langues de travail du Tribunal. Mais
l’Accusation est sur le point de conclure la présentation de ses moyens et le calendrier de la présentation des moyens à décharge a commencé à être fixé.


La Chambre d’appel a, elle aussi, eu à examiner un plus grand nombre de recours que dans les exercices précédents. Au cours de la période considérée, elle s’est prononcée sur 36 appels interlocutoires, deux requêtes en révision et deux affaires d’outrage au Tribunal et elle a rendu un arrêt à la suite d’un appel interjeté contre un jugement.


Les chambres de première instance ont aussi accueilli de plus en plus de plaidoyers de culpabilité consécutifs à des accords sur le plaidoyer, notamment celui de Biljana Plavšic, ex-coprésidente de la Republika Srpska. Au total, 15 accusés ont à ce jour plaidé coupable devant le TPIY. Certes, je conçois que d'aucuns puissent douter de l'opportunité d'un recours trop fréquent aux
accords sur le plaidoyer du fait que le Tribunal juge des crimes odieux et qu'il a notamment pour mission de rendre justice aux victimes et de contribuer à recenser objectivement les atrocités commises. Ces inquiétudes sont certainement compréhensibles et légitimes.


Néanmoins, j'estime que les accords sur le plaidoyer peuvent être constructifs lorsque les accusés qui y ont recours reconnaissent franchement et expressément leur participation aux crimes dont ils s'avouent coupables et pour lesquels ils expriment des remords sincères. Dans certains cas, un aveu de culpabilité franc et explicite peut apporter aux victimes autant de consolation, si
ce n'est davantage, qu'une déclaration de culpabilité prononcée après maintes protestations d'innocence. En outre, d’un point de vue pratique, la coopération obtenue par le moyen des accords de plaidoyer est d’une aide majeure pour prouver la culpabilité d’accusés de premier plan ayant pris part aux crimes commis à grande échelle. Par ailleurs, l’économie de temps et de ressources
réalisée en évitant ainsi la tenue de procès dans certaines affaires est appréciable pour que le Tribunal mène ses travaux à terme dans les délais fixés par le Conseil de sécurité et elle permet d’écourter les périodes de détention provisoire. Les plaidoyers de culpabilité permettront peut-être aussi d’apporter plus vite aux victimes un signe que la justice prévaut.


J’aborderai à présent la stratégie d’achèvement des travaux que le Tribunal doit poursuivre compte tenu de ces délais.


Premièrement, je puis déclarer que, au cours de l’exercice passé, nous avons fait de grands progrès dans cette voie.


Sur le plan interne, nous avons adopté une série de réformes visant à améliorer l'efficacité de nos procédures. La plus importante a été de supprimer l'interdiction faite aux juges ad litem de se prononcer pendant la phase préalable à l'audience. À ma demande instante (et en accord avec une recommandation antérieure du mon prédécesseur, le Juge Jorda), le Conseil de sécurité
a, le 19 mai 2003, adopté à l'unanimité la Résolution 1481 (2003) portant modification du Statut du Tribunal et autorisant les juges ad litem à se prononcer pendant la phase préalable à l'audience. Cette réforme, qui permet aux juges ad litem d’optimiser leur emploi du temps et d’accroître leur contribution déjà importante à la mission du Tribunal, facilitera une
résolution plus rapide des affaires dont ce dernier est saisi.


Au cours des sessions plénières de décembre 2002 et de juillet 2003, les juges ont adopté un certain nombre de modifications du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal pour améliorer l'efficacité des procédures. L'une de ces modifications permet la poursuite du procès lorsque l'un des juges affectés à l'affaire entendue se trouve dans l'impossibilité de siéger. Elle limite
ainsi les risques d'annulation du procès pour vice de forme et de réouverture du procès. Une autre modification octroie aux chambres de première instance des pouvoirs accrus pour restreindre l’étendue des moyens à charge en limitant, par exemple, la durée de la présentation, le nombre de témoins ou le nombre des lieux des crimes à considérer, ce qui évite les retards inutiles que
prennent les procès avec l’examen de preuves faisant double emploi.


Sur le plan externe, le Tribunal a, au cours de l'année écoulée, pleinement œuvré à faire progresser la stratégie d'achèvement de son mandat en élaborant un projet de création d'une chambre spéciale chargée des crimes de guerre au sein de la Cour d'État de Bosnie-Herzégovine. Comme je l’ai noté hier en m’adressant à vous aux côtés de Lord Ashdown, la Chambre chargée des crimes de
guerre à Sarajevo constituera une instance devant laquelle le Tribunal pourra renvoyer un certain nombre d'affaires impliquant des accusés de rang intermédiaire et subalterne. Anticipant la création de cette Chambre, les juges du Tribunal international ont, lors d'une session plénière extraordinaire tenue en septembre 2002, modifié l'article 11 bis du Règlement afin de définir les
conditions qui devront être remplies avant de déférer, une fois l'acte d'accusation confirmé, une affaire devant une juridiction nationale.


Ainsi, en février 2003, après des mois de négociation, le Président Jorda est parvenu à un accord avec le Bureau du Haut Représentant pour la Bosnie-Herzégovine en vue de la création de cette nouvelle chambre. À deux reprises, j'ai moi-même eu l'honneur de défendre ce projet devant le Comité directeur du Conseil pour la mise en œuvre de la paix afin qu'il y souscrive, ce qu'il a
fait en juin 2003. En août 2003, le Conseil de sécurité a également donné son accord à la création de la Chambre spéciale, dans sa Résolution 1503. Le 30 octobre prochain, le Tribunal international accueillera en ces murs, à La Haye, une conférence des donateurs, et plusieurs groupes de travail composés de représentants du Bureau du Haut Représentant, du Tribunal et d'autres
organisations intéressées par ce projet se chargeront d'élaborer les politiques détaillées nécessaires au bon fonctionnement de la Chambre des crimes de guerre.


Je tiens aussi à noter qu’au cours de la première visite officielle du Président du Tribunal à Belgrade, que j’ai effectuée en cette qualité en septembre, j’ai visité les installations et rencontré les juges et le procureur de la nouvelle chambre des crimes de guerre mise en place en Serbie. Dans la mesure où la situation de la région se normalise, les juridictions nationales
devraient jouer un rôle majeur dans la poursuite des criminels concernés. Toutefois, elles ne peuvent œuvrer dans ce sens que si elles ne sont pas l’instrument de visées politiques et si elles remplissent les conditions de légalité et d’équité internationalement reconnues.


Deuxièmement, je puis affirmer que nous continuons de rechercher des moyens d’optimiser nos procédures. J’ai donné un nouvel élan au Groupe de travail des pratiques judiciaires, un comité de juges auquel j’ai confié la mission d’élaborer et d’analyser des propositions visant à raccourcir la durée des procès et à accélérer les procédures en appel. Le Procureur a récemment présenté
un ensemble de propositions inspirées par le même objectif. Les juges se consacrent activement à leur examen et à la refonte de certaines d’entre elles. Le Comité chargé de la révision du Règlement est également en train d’en étudier certaines. Il recommandera à la session plénière ordinaire prévue pour le mois de décembre une série de réformes visant à améliorer les règles régissant
la communication des éléments de preuve, la mise en état des affaires et l’administration de la preuve. L’objectif est d’atteindre un juste équilibre entre les intérêts du Procureur et ceux des accusés, de manière à ce que la tâche du premier soit maîtrisable et qu’en même temps, le droit des seconds à un procès équitable demeure protégé.


Troisièmement, je dois préciser que bien que nous nous efforcions par tous les moyens possibles de respecter notre engagement de clore tous les procès en première instance à la fin de l’année 2008 et tous les appels à la fin de 2010, personne ne peut prédire avec une exactitude scientifique la date de clôture des procédures judiciaires. De nombreux facteurs peuvent en effet influer
sur le déroulement des affaires. Le Tribunal n’en maîtrise qu’une partie et, parmi ces facteurs maîtrisables, certains dépendent des juges et d’autres relèvent de la compétence du Procureur.


Peu après avoir accédé aux fonctions de président du Tribunal, j’ai formé un groupe de travail composé de représentants des Chambres, du Greffe, de l’Accusation et de la Défense, en vue d’améliorer l’efficacité de la programmation des procès. J’ai également demandé à ce groupe d’établir, sur la base d’un ensemble d’hypothèses, des projections prudentes du temps nécessaire pour
achever l’ensemble des procès. Je me propose de vous présenter un résumé de l’état actuel de ces prévisions.


J’ai le plaisir de vous annoncer que nous devrions être en mesure de clore les procès en première instance de tous les accusés actuellement détenus par le Tribunal (y compris ceux qui bénéficient d’une mise en liberté provisoire) à l’échéance du délai prévu de 2008 et ce, qu’il s’agisse des affaires déjà en instance ou de celles actuellement au stade de la mise en état. Vingt-deux
affaires relèvent de cette catégorie.


Les actes d’accusation déjà confirmés visent 17 autres individus qui sont actuellement en fuite. Il faudra pour les juger tenir 11 procès distincts. Il peut être envisageable d’achever avant la fin de 2008 les procès de deux des trois fugitifs dont la capture a été déclarée hautement prioritaire par le Conseil de sécurité, à savoir Karadzic et Mladic, si l’on part de l’hypothèse
qu’ils seront jugés ensemble et arrêtés suffisamment tôt pour permettre la tenue d’un aussi long procès dans les délais fixés par le Conseil. Si le nombre d’accusés plaidant coupable venait à dépasser les projections, il serait même possible d’achever le procès de certains des autres accusés en fuite avant la fin 2008 mais pas de les achever tous à cette échéance. Pour que le Tribunal
puisse juger tous les fugitifs sans ce nombre supplémentaire d’accusés plaidant coupable, il faudrait probablement que les procès en première instance se poursuivent au moins jusqu’à la fin de 2009. Nos prévisions à cet égard dépendent non seulement des estimations concernant la durée probable de divers procès mais également du moment où les fugitifs seront arrêtés et transférés à La
Haye, du nombre de personnes plaidant coupable, ainsi que du nombre d’affaires à déférer à la nouvelle Chambre des crimes de guerre à Sarajevo. Le plus tôt les fugitifs nous seront livrés, plus nous aurons de chances de joindre leurs procès à ceux d’accusés déjà détenus à La Haye, ce qui permettrait d’économiser le surcroît de temps et d’argent qu’il faut dépenser pour tenir des
procès distincts. Bien évidemment, on ne peut prévoir combien des 17 personnes en fuite (et combien de celles déjà détenues) plaideront coupable. Si un grand nombre d’accusés plaidaient coupable, nos estimations actuelles pourraient être revues à la baisse. En bref, plus la remise des fugitifs sera précoce, plus il y aura d’accusés plaidant coupable et plus il y aura d’affaires
pouvant être transférées à Sarajevo, meilleurs serons les délais dans lesquels nous pourrons achever ces procès.


La première de ces considérations — la remise des fugitifs — échappe bien sûr au contrôle du Tribunal. Elle dépend surtout de la coopération des États de l’ex-Yougoslavie. Comme mes prédécesseurs, je prie instamment le Conseil d’insister auprès de tous les États membres pour qu’ils contribuent, par une coopération pleine et rapide, à la mission Tribunal. Lors de ma récente visite à
Belgrade, il m’a semblé encourageant d’y voir se faire jour la compréhension du fait que la coopération avec le Tribunal est aussi nécessaire que souhaitable. Mais il reste beaucoup à faire du point de vue de l’arrestation des fugitifs, de l’accès aux éléments de preuve et de la facilitation de la comparution des témoins, surtout lorsqu’il s’agit de responsables actuels et
anciens.


Le Procureur a un rôle certain à jouer en ce qui concerne la deuxième considération, à savoir le nombre de personnes plaidant coupable. La troisième — le nombre d’affaires à renvoyer à la Chambre des crimes de guerre de Sarajevo — dépend de la date à laquelle celle-ci commencera ses activités.


J’ai récemment appris du Procureur qu’elle entendait soumettre approximativement 14 nouveaux actes d’accusation concernant environ 30 individus. Quatre ou cinq des nouveaux actes d’accusation viseront des personnes dont l’instance pourra être jointe à des affaires existantes mais les huit ou neuf autres exigeront la tenue de procès distincts. Et c’est là que le bât blesse. En
fixant à 2004 la date de la fin du mandat d’enquête du Procureur, le Conseil de sécurité attendait clairement des résultats, y compris de nouveaux actes d’accusation. Il se peut bien que les actes d’accusation futurs visent effectivement des dirigeants plus haut placés et ayant dans les crimes une plus lourde part de responsabilité que les personnes mises en accusation par le passé.
Mais c’est la première fois que j’ai à rendre compte de l’ensemble des activités du Tribunal en qualité de président de cette institution et je me dois d’exposer avec une sincérité et une franchise absolues la manière dont ces affaires, comme celles que j’ai évoquées plus tôt, s’inscrivent dans l’échéancier établi par le Conseil de sécurité. Par conséquent, je dois vous dire que sur
la base de nos projections actuelles, il ne sera possible de traiter aucun de ces nouveaux actes d’accusation dans les délais prescris par le Conseil. Je le dis tout en reconnaissant que le Procureur a la prérogative de choisir les individus à l’encontre desquels elle souhaite dresser des actes d’accusation et que si l’Accusation nous convainc qu’au vu des présomptions, il y a lieu
d’engager des poursuites, nous devons, en tant que juges, confirmer les actes d’accusation en question.


Le Statut du TPIY et les résolutions du Conseil de sécurité, y compris la résolution 1503, ne donnent pas aux juges le pouvoir de vérifier si les personnes visées par ces actes d’accusation répondent bien à la condition fixée par le Conseil, c’est-à-dire si elles font partie des principaux dirigeants portant la plus lourde responsabilité des crimes qui relèvent de la compétence du
Tribunal pour l’ex-Yougoslavie. Il est clair qu’il s’agit d’une question qui doit être réglée entre le Conseil et le Procureur.


Le mandat du Tribunal est de « juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit du droit international humanitaire » commises lors des conflits yougoslaves. Dans sa résolution 1503, le Conseil n’a pas explicité les objectifs à atteindre pendant les derniers mois du mandat d’enquête du Procureur. Il est évident que le Procureur va soumettre de nouveaux actes
d’accusation qui, d’après nos estimations actuelles, ne manqueront pas de causer un décalage supplémentaire par rapport aux dates butoirs prévues dans la stratégie d’achèvement des travaux du Tribunal. Ce décalage pourrait correspondre à deux ans de plus que ce qu’il faudrait pour juger les actuels accusés en fuite s’ils étaient livrés à La Haye. Bien sûr, une fois que le Procureur
aura achevé la phase d’enquête de son mandat, nous serons mieux placés pour établir des projections fiables.


Une chose doit cependant être bien claire : une fois que des actes d’accusation auront été soumis aux juges et que ceux-ci les auront confirmés, le processus judiciaire sera enclenché et devra être mené à son terme, conformément aux textes en vigueur et à l’exigence d’une procédure régulière. L’adhésion stricte aux dates butoirs de la stratégie d’achèvement des travaux ne doit pas
aboutir à l’impunité, particulièrement lorsqu’il s’agit des principaux dirigeants suspectés de porter la responsabilité la plus lourde dans les crimes relevant de la compétence du Tribunal.


Je suis conscient du fait que certains membres du Conseil jugeront ces projections peu encourageantes. Mais au moment même où je m’engage devant vous à faire tout ce qui est possible en poursuivant la mise en œuvre de réformes de procédure et de gestion destinées à augmenter la rapidité et l’efficacité de nos procès, je dois également vous rappeler qu’au pénal, la rapidité ne
saurait être obtenue au prix des droits de la défense. Lorsqu’on jugera l’héritage du Tribunal, on se demandera non seulement s’il a réussi à juger les responsables des crimes les plus graves relevant de sa compétence mais également s’il les a jugés conformément aux plus strictes exigences d’équité.


Pour que le Tribunal puisse veiller au respect de ces exigences, il faut que non seulement ses juges mais également l’ensemble de son personnel détiennent les compétences requises. À mesure qu’approchera la date d’achèvement des travaux du Tribunal, il sera, en particulier, de plus en plus difficile de conserver et d’attirer des collaborateurs de qualité, à moins qu’on ne puisse
leur offrir des possibilités de promotion ou de poursuite de leur vie professionnelle au sein du système des Nations Unies. La création de nouvelles juridictions pénales accentue ces difficultés. J’espère que les membres du Conseil de sécurité et ceux de l’Assemblée générale sauront reconnaître l’importance de ce problème et apporteront leur soutien aux solutions que nous
proposons.


La mission du Tribunal ne consistait pas à juger tous ceux qui ont commis des violations du droit international humanitaire mais ceux qui portent la plus lourde responsabilité dans les principales atrocités. Cette mission ne sera pas accomplie tant que nous n’aurons pas jugé Mladic et Karadžic en particulier.


Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs, il y a dix ans de cela, le Conseil de sécurité créait le TPIY en vue de mettre un terme à l’impunité des auteurs d’atrocités commises à grande échelle et de violations graves du droit international humanitaire. Pendant ces dix années, le Tribunal a pu, avec le soutien constant du Conseil, donner à des victimes une chance de
faire connaître leurs souffrances au public et, du moins dans une certaine mesure, de voir justice se faire. En exposant au grand jour les conséquences de la haine ethnique et religieuse, les procès du Tribunal ont démontré la volonté de nuire de ceux qui assoient leur pouvoir en incitant leurs partisans à faire siennes pareilles haines. Le Tribunal a donc apporté une contribution
fondamentale et durable à l’effort de justice envers les peuples de l’ex-Yougoslavie. Notre jurisprudence servira également de fondation à toutes les juridictions pénales internationales et de modèle pour les poursuites qui pourraient être engagées sur le plan national contre les auteurs d’atrocités.


Au cours des dix dernières années, nous avons travaillé dur pour répondre aux attentes du Conseil de sécurité et nous nous promettons de continuer à accomplir l’importante mission que vous nous avez confiée.