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Déclaration du Président Jorda à la Réunion du Conseil de Mise en Oeuvre de la Paix

Communiqué de presse PRÉSIDENT

(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)

La Haye, 24 mai 2000
CC/S.I.P/ 502-f
 

Déclaration du Président Jorda à la Réunion du Conseil de Mise en Oeuvre de la Paix

Veuillez trouver ci-dessous le texte intégral de la déclaration faite le 23 mai 2000, à Bruxelles, par le Président Jorda lors de la Réunion plénière du Conseil de mise en oeuvre de la paix.

DECLARATION DU PRESIDENT JORDA
A LA REUNION DU CONSEIL DE MISE EN OEUVRE DE LA PAIX

M. le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs,

C’est un grand honneur pour moi de prendre la parole à l’occasion de la réunion plénière du Conseil de mise en œuvre de la paix ; œuvre à laquelle le Tribunal doit apporter une contribution essentielle par le jugement des principaux responsables des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

Je me réjouis du fait que depuis que mon prédécesseur, Madame Gabrielle McDonald, s’est présenté devant votre assemblée, en décembre 1998, la situation du Tribunal a grandement changé. En effet, de nombreux accusés, dont certains hauts responsables, ont été appréhendés et plusieurs nouveaux procès se sont ouverts depuis lors.

Je suis néanmoins préoccupé par deux problèmes qui me paraissent constituer des obstacles fondamentaux à l’établissement d’une paix profonde et durable dans les Balkans, et qui ne peuvent être résolus sans votre collaboration et votre appui. Le premier problème, sur lequel mes prédécesseurs avaient déjà attiré votre attention, est le fait que plusieurs hauts responsables politiques et militaires sont toujours en liberté. La seconde difficulté, qui s’est révélée plus récemment, notamment avec l’accroissement considérable de notre charge de travail, tient à la nécessité de trouver les moyens qui permettront au Tribunal de réaliser encore mieux, et le plus rapidement possible, ses objectifs de justice et de paix.

Le Tribunal tourne à plein régime

Permettez-moi d’abord de dresser un bilan très succinct de nos activités. Vous constaterez ainsi que le Tribunal « tourne désormais à plein régime ». J’illustrerai mes propos par quelques chiffres.

Ces deux dernières années, les arrestations se sont considérablement multipliées. Sur 67 inculpés, 37 sont actuellement détenus à La Haye et treize d’entre eux ont été arrêtés durant les dix mois qui précèdent. Pendant cette période, les chambres de première instance ont jugé quatorze personnes et rendu plusieurs centaines de décisions en cours d’instance. Pour ne vous donner qu’un exemple, lors du procès intenté par Madame le Procureur contre le général Blaskic - lequel a duré 26 mois -, les juges ont prononcé, outre le jugement final, plus de 180 décisions. Quant à la chambre d’appel, ses juges ont délivré en deux ans plusieurs dizaines d’arrêts interlocutoires et trois arrêts au fond. Au-delà de ces chiffres significatifs, la jurisprudence du Tribunal a connu des développements importants et s’est consolidée sur des points essentiels du droit international humanitaire.

Ce succès est d’abord le résultat de la collaboration accrue de tous les Etats qui, par l’entremise de l’OTAN, et plus spécifiquement de la SFOR et de la KFOR, coopèrent de façon intense avec le Tribunal à l’arrestation des accusés et à la collecte des preuves. Cette avancée tient également à la coopération que nous apportent les Etats des Balkans, notamment les entités de la République de Bosnie-Herzégovine et, depuis plus récemment, la République de Croatie. Le Gouvernement de Croatie a d’ailleurs manifesté publiquement son souhait de coopérer davantage avec le Tribunal, ce qui m’a été confirmé par son Président au cours d’un entretien récent à Zagreb.

Deux obstacles empêchent toutefois le Tribunal de contribuer pleinement à sa mission de paix

Même s’il tourne à plein régime, le Tribunal demeure confronté à deux difficultés majeures.

- Plusieurs accusés, responsables militaires importants ou hauts fonctionnaires, sont toujours en liberté. Certains d’entre eux exercent même des fonctions publiques en toute impunité. Je pense notamment à M. Milosevic et M. Ojdanic qui sont toujours au pouvoir en République Fédérale de Yougoslavie, Etat qui refuse de reconnaître la compétence du Tribunal. M. Karadzic et M. Mladic ne sont pas arrêtés, alors qu’ils ont été inculpés il y a déjà presque cinq ans.

Or ces accusés, leaders politiques et militaires, doivent, en priorité, répondre de leurs actes devant un Tribunal international « garant de la paix et de la sécurité de l’humanité ». En effet, ils peuvent, en raison des fonctions qu’ils ont exercées - ou qu’ils exercent encore -, plus que toutes autres personnes, mettre réellement en danger l’ordre public international, et porter atteinte à la paix dans les Balkans dont nous sommes tous les garants.

- Il s’agit ensuite d’assurer la gestion prompte et efficace de tous les dossiers dont nous sommes - ou seront prochainement - saisis. A cet égard, permettez-moi de vous donner encore quelques chiffres. Treize affaires concernant 25 accusés figurent actuellement au rôle du Tribunal de première instance : neuf sont au stade préalable du procès et quatre sont en phase de jugement. Douze inculpés font l’objet d’une procédure d’appel. De surcroît, Madame le Procureur a récemment annoncé qu’elle avait l’intention d’ouvrir 36 nouvelles enquêtes concernant 150 suspects, ce qui porterait le nombre total d’accusés à plus de 200 personnes.

Certes, aux fins de faire plus efficacement face à la charge considérable de travail, nous avons modifié à plusieurs reprises au cours de ces deux dernières années notre Règlement de procédure et de preuve. Nous avons, par exemple, créé la fonction de juge de la mise en état, dont le rôle est d’assurer le bon déroulement de la phase préparatoire du procès. Nous avons également mis en œuvre les recommandations que nous a proposées un groupe d’experts mandaté par les Nations Unies et qui nous a apporté un regard neuf et extérieur sur nos méthodes de travail.

Il n’en demeure pas moins que si rien ne change - qu’il s’agisse de la politique pénale, des règles de procédure, du format du Tribunal et de son organisation - et qu’au contraire si toutes les données notamment politiques tendent à un accroissement inéluctable des affaires, notre mission ne sera pas achevée avant une dizaine d’années (exception faite des appels).

C’est pourquoi, dès ma nomination comme Président du Tribunal, j’ai engagé, avec le concours de mes collègues, une réflexion d’ordre général sur le moyen de juger dans des délais raisonnables tous les accusés qui sont - ou seront - en détention. Nos conclusions figurent dans un rapport qui vient d’être communiqué au Secrétaire Général des Nations Unies. Nombre de solutions y sont envisagées, entre autres, la délocalisation de certaines affaires - c’est-à-dire le jugement de celles-ci par les Etats membres, dont ceux de l’ex-Yougoslavie. Même si elle rend la gestion des affaires plus transparentes à l’égard des populations locales et favorise dès lors la réconciliation nationale, cette mesure entraîne d’autres inconvénients et paraît en tout état de cause prématuré.

Les juges sont plus favorables à l’adoption d’une solution flexible qui permettrait d’accélérer les procès, sans toutefois bouleverser le système de procédure actuel, ni bien entendu, porter atteinte aux droits fondamentaux de l’accusé. Il s’agit d’une part d’accélérer la mise en état des affaires par la délégation partielle de celles-ci à des juristes autres que les juges. Il s’agit d’autre part d’augmenter la capacité de jugement du Tribunal par la mise à disposition d’une réserve de juges ad litem par les Etats membres des Nations Unies. Il serait ainsi fait appel à ces juges pour qu’ils statuent sur des affaires déterminées en fonction de l’évolution de nos besoins futurs.

Un tel système devrait permettre d’accélérer considérablement la résolution de nos affaires et - dans l’hypothèse où tous les accusés auraient été appréhendés - d’achever notre travail en moitié moins de temps qu’il ne nous en faudrait actuellement.

Permettez-moi d’insister sur le fait qu’il est primordial d’avoir une vision à plus long terme de l’évolution de notre mission, afin qu’elle puisse être accomplie avec la plus grande célérité dans le respect des droits fondamentaux de la personne humaine. Il en va tout d’abord du droit de l’accusé à être jugé sans retard excessif. Il en va ensuite de la crédibilité de notre institution, car si elle n’accomplit pas son devoir dans des délais raisonnables, le soutien international dont elle jouit actuellement et dont elle a tant besoin s’estompera. Il en va enfin du prompt retour à une paix profonde et durable dans les Balkans, laquelle ne pourra être retrouvée que lorsque nous aurons mené à son terme le travail qui nous a été confié par le Conseil de sécurité.

Je tiens pour finir à vous redire combien votre collaboration et votre appui sont essentiels à l’accomplissement de notre mission.

Je vous remercie de votre attention.


 

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