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Jugement dans l'Affaire Le Procureur contre Miroslav Kvocka, Milojica Kos, Mlado Radic, Zoran Zigic et Dragoljub Prcac : (Omarska/Keraterm/Trnopolje).

Communiqué de presse
 CHAMBRES
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye,  2 novembre 2001
CC/S.I.P./631-f


Jugement dans l'Affaire Le Procureur contre Miroslav Kvocka, Milojica Kos,
Mlado Radic, Zoran Zigic et Dragoljub Prcac : (Omarska/Keraterm/Trnopolje).

 

Les cinq accusés sont condamnés à des peines allant de 5 à 25 ans de prisonpour leur participation à "une orgie persécutoire infernale"

Veuillez trouver ci-dessous le texte intégral du prononcé lu à l’audience du vendredi 2 novembre par le Juge Almiro Rodrigues, Président de la Chambre de première instance I, composée en outre des Juges Fouad Riad et Patricia Wald.

Le texte intégral du Jugement (en anglais) est disponible sur demande auprès des Services d’Information Publique, ou sur le site internet du Tribunal.

Introduction

« L’injustice n’importe où est une menace à la justice partout », selon une belle formule de Martin Luther King. C’est en ayant à l’esprit cette maxime et dans le souci d’écarter une telle menace que la Chambre rend aujourd’hui son jugement dans l’affaire intentée par le Procureur contre Miroslav Kvocka, Milojica Kos, Mladjo Radic, Zoran Zigic et Dragoljub Prcac pour persécution et autres crimes contre l’humanité et crimes de guerre, commis dans la région de Prijedor, entre le 26 mai et le 30 août 1992 et, plus précisément, dans les camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje.

Nous souhaitons relever les vicissitudes procédurales qu’a connues ce dossier. Les accusés ont été arrêtés à des dates aussi distinctes que le 9 avril 1998, pour les premiers (Kvocka, Radic) ou le 5 avril 2000 pour le dernier (Prcac). L’équipe du Procureur a changé plusieurs fois d’avocat général. Une équipe de la défense, celle de M. Zigic, a changé de composition. La Chambre a elle-même été composée de plusieurs manières au stade de la mise en état. Au total, le procès n’a pu s’ouvrir que le 26 février 2000 à l’encontre des accusés Kvocka, Radic, Kos, et Zigic. Mais M. Prcac était arrêté le 6 mars 2000 et, après en avoir débattu avec les parties, la Chambre a ordonné la jonction des procédures dans un souci de bonne administration de la justice. Le procès a repris le 2 mai 2000, cette fois contre cinq accusés, et les débats ont été déclarés clos le 19 juillet 2001. Au cours du procès, une soixantaine de décisions et ordonnances écrites ont été rendues, sans compter d’innombrables décisions orales. Il y a eu six appels interlocutoires. La Chambre a tenu 113 jours d’audience dans cette affaire, étant entendu qu’elle tenait en parallèle des audiences dans l’affaire Krstic. Enfin, la Chambre a entendu 50 témoins pour l’accusation et 89 témoins pour la défense, et a par ailleurs admis un total de 489 pièces à conviction.

Nous ne souhaitons pas ici entrer plus avant dans les détails de la procédure. Deux décisions particulièrement importantes au regard de ce procès méritent cependant d’être mentionnées :

- la première est le constat judiciaire dressé par la Chambre à la requête du Procureur. La Chambre, en s’appuyant sur l’arrêt de la Chambre d’appel dans l’affaire Tadic, a décidé « qu’il existait dans les lieux et au temps visés à l’acte d’accusation, une attaque massive et systématique dirigée contre la population civile musulmane et croate de la municipalité de Prijedor qui s’inscrit dans le cadre d’un conflit armé mais aussi que les faits décrits dans cet acte d’accusation et commis au préjudice de ces populations et notamment des détenus des camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje sont en relation avec ce conflit ». Cette décision, qui est largement le résultat d’échanges entre les parties, a permis de circonscrire relativement les faits et de centrer la discussion sur la responsabilité individuelle de chacun des accusés.

- la seconde décision qui mérite d’être soulignée ici est celle prise le 14 décembre
2000 sur les requêtes aux fins d’acquittement présentées par la défense des accusés, Radic , Kos, Zigic et Prcac. La Chambre a considéré (et ce, même en l’absence de requête de la défense de M. Kvocka) que les accusés Kvocka, Radic, Kos et Prcac devaient être acquittés des crimes qui leur étaient reprochés et auraient été commis à Keraterm et Trnopolje, ainsi que pour certains faits commis au préjudice d’un nombre de victimes limitativement énumérées. L’accusé Zigic a été lui aussi acquitté pour un nombre limité de faits sur la base desquels il était poursuivi.

Il n’est pas question ici de lire l’intégralité du jugement écrit mais d’en présenter une synthèse qui permette aux accusés ainsi qu’au public, de connaître l’essentiel des raisons qui ont conduit la Chambre à se déterminer comme elle l’a fait. Nous soulignons que le seul texte faisant foi est celui du jugement écrit et que rien dans ce que nous allons dire ne pourra être conçu comme pouvant modifier, même de façon minime, ce jugement.

Messieurs Kvocka, Radic, Kos, Zigic et Prcac, les crimes qui vous sont reprochés, sont fondés sur les événements qui ont suivi l’attaque des forces serbes sur la ville de Prijedor en avril-mai 1992, les arrestations auxquels les Serbes ont procédé et l’ensemble des mauvais traitements que presque toutes les personnes arrêtées ont subis, des mauvais traitements pouvant aller jusqu’au viol, à la torture, à la mort.

Pour parvenir à sa décision, la Chambre a dû répondre essentiellement à trois questions : quels sont les faits ? Quels crimes peut-on retenir ? Peut-on vous retenir Messieurs Kvocka, Radic, Kos, Zigic et Prcac coupables de l’un ou l’autre de ces crimes ? C’est un résumé des conclusions auxquelles la chambre a abouti sur ces trois questions que nous allons présenter maintenant.

I - QUELS SONT LES FAITS ?

Le 30 avril 1992, les forces serbes ont pris le contrôle de Prijedor. La prise de Prijedor est bientôt suivie de l’éviction des non-Serbes, Musulmans ou Croates de Bosnie des fonctions de responsabilité. Beaucoup finissent par perdre leur emploi, leurs enfants sont empêchés d’aller à l’école et la radio diffuse une propagande anti-Musulmans et anti-Croates.

Les Croates et les Musulmans n’acceptent pas cette situation et envisagent de réagir. En cas de résistance importante de leur part, les Serbes lancent des attaques, comme contre les villages de Hambarine et Kozarac. Le 30 mai, la tentative des Musulmans de reprendre le contrôle de Prijedor échoue. Pour prévenir toute velléité de résistance de la part des Croates et, surtout, des Musulmans, les Serbes décident de procéder à l’interpellation de toute personne non-serbe susceptible de présenter un danger et donc, en particulier, à l’arrestation des personnes ayant exercé une autorité quelconque, y compris morale, ou représentant un certain pouvoir, notamment économique. Dans le même temps, les hommes sont séparés des femmes, des enfants et des personnes âgées, les hommes, surtout, devant être interrogés. Il convient donc, selon les Serbes, de regrouper ceux des non-Serbes qui n’ont pas quitté la région dans des centres. C’est ainsi que sont créés les centres d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje.

Mais les éléments de preuve présentés devant la Chambre conduisent à devoir parler non pas de centres d’enquêtes ou de regroupement, mais bien de camps. Celui de Trnopolje est, en réalité, un ensemble assez disparate de bâtiments dans le village du même nom. Le camp d’Omarska occupe les locaux d’une ancienne mine de fer, et le camp de Keraterm ceux d’une usine de céramique.

Compte tenu des charges reprochées respectivement aux accusés et des conclusions finales de la Chambre, nous nous concentrerons sur le camp d’Omarska.

Tout comme ceux de Trnopolje et de Keraterm, le camp d’Omarska a été officiellement établi le 30 mai 1992 par Simo Drljaca (je note que Drljaca avait été accusé par le Tribunal mais est mort lors d’une tentative pour l’appréhender). Initialement prévu pour fonctionner une quinzaine de jours, il fonctionnera en réalité jusque vers le 20 août 1992. Pendant cette période de près de trois mois, ce sont plus de 3.334 détenus au moins qui passent par le camp. A ceux-là, il faut ajouter une trentaine de femmes, dont plusieurs occupaient un rang élevé sur le plan local. Tous les détenus sont interrogés. Presque tous sont frappés. Beaucoup ne sortiront pas vivants du camp.

De fait, les conditions de vie au camp d’Omarska sont absolument épouvantables. Peut-être certains d’entre vous se souviennent-ils de ces images qui y furent tournées par une équipe de télévision, sur lesquelles on voit des hommes au corps émacié, au visage marqué, à l’air souvent résigné, sinon abattu. Ce sont ces images qui entraîneront une réaction de la communauté internationale et sont, peut-être, l’une des origines de la création du Tribunal.

Il faut s’imaginer le camp d’Omarska.

Un bâtiment administratif, avec un réfectoire et des cuisines au rez-de-chaussée et des bureaux, qui servent notamment pour les interrogatoires, à l’étage. Depuis le réfectoire et l’escalier qui conduit aux bureaux, on peut voir l’espace qui sépare le bâtiment administratif des hangars, un endroit qu’on appelle la Pista. Un peu plus loin, on voit un espace herbeux, avec un petit bâtiment, de couleur claire, qu’on appelle la Maison Blanche. Plus loin encore, mais on ne le voit pas, un très petit bâtiment, la Maison Rouge.

Les mauvais traitements sont continuels et généralisés au sein du camp et commencent dès l’arrivée des détenus. Dès leur arrivée, en effet, les prisonniers sont le plus souvent battus ou, en tout cas, maltraités, comme pour leur signifier immédiatement qu’ils ne seront pas considérés comme des êtres humains. On les fait descendre de l’autobus qui les conduit au camp en les frappant ; on les fait s’aligner contre le mur et, souvent, ils se font dérober un document d’identité ou de l’argent ; on leur fait chanter des chants serbes ; puis on les fait s’asseoir sur le sol ou même se coucher à plat ventre, sur l’asphalte brûlant, pendant des heures, sans qu’ils aient le droit de bouger ou la possibilité de boire.

Puis, ils sont interrogés. Ils sont alors frappés, à coups de poings, à coups de bottes, avec la crosse des armes, avec toute sorte d’instruments.

Il n’y a pas de cellules dans les hangars, mais de grandes salles où les détenus sont entassés dans une promiscuité insupportable, ayant parfois à peine l’espace de bouger, contraints de dormir, lorsqu’ils le peuvent, à même le sol ou sur des palettes.

Les prisonniers n’ont qu’une maigre nourriture, souvent avariée, presque pas d’eau. Il n’y a pour ainsi dire pas de toilettes, il faut satisfaire ses besoins naturels dans des seaux ou même, souvent, dans le coin d’une pièce ou sur soi.

Les détenus malades ou blessés ne reçoivent pas ou guère de traitement.

D’une manière générale, tous ces hommes sont amaigris, affaiblis, et d’autant plus abattus qu’ils vivent constamment dans un climat de violence et d’anxiété.

Ils ne savent pas quand leur nom va être appelé.

Mais ils savent que quand ils seront appelés, ce sera non pas tant pour être interrogés que pour être frappés.

Ils sont frappés lors de leurs interrogatoires, nous l’avons dit.

Ils sont frappés lorsqu’ils vont manger, alors qu’on les fait courir pour aller au réfectoire, ils n’ont que quelques minutes pour avaler un piteux repas.

Ils sont frappés lorsqu’ils veulent aller aux toilettes, de sorte que la plupart renoncent à y aller. Ils sont frappés, aussi, sans autre raison apparente que la violence qui saisit un garde ou un « visiteur ».

La Chambre a reçu de nombreux éléments de preuve qui démontrent qu’il n’était pas rare que des personnes extérieures au camp y pénètrent et se livrent à diverses exactions sur les prisonniers. M. Zigic est de ceux-là.

Les femmes, elles, ne sont pas frappées : certaines sont molestées, d’autres, ou les mêmes, sont violées.

En d’autres termes, il n’est pas un seul lieu dans l’enceinte du camp d’Omarska où un détenu puisse se sentir en sécurité ou, simplement, espérer ne pas être frappé ou subir des violences sous une forme ou sous une autre.

Dans le bâtiment administratif, il y a les bureaux, notamment ceux du commandant du camp et celui des communications.

Mais il y a aussi ceux où ont lieu les interrogatoires. Les hommes hurlent. Aucun accusé n’entend leurs cris. Les hommes sont violemment frappés : lorsque les femmes doivent nettoyer, elles voient les traces de sang ou de résidus humains. Les accusés ne voient rien.

C’est là que dorment les femmes détenues. C’est là que, la nuit, on vient les chercher. C’est là que certaines sont violentées, violées. Certaines, le jour, restent prostrées, sans prononcer une parole.

Aucun des accusés n’aura remarqué quoi que ce soit.

Les détenus passent des heures sur la Pista. Nous sommes en juin, juillet, août. Il fait souvent chaud, très chaud. Ils n’ont pas à boire mais ils sont violemment arrosés à coups de lance à incendie.

Les hommes sont sales. Leurs blessures s’infectent. Certains ont la dysenterie, des crises de diarrhées. Selon de nombreux témoins, l’odeur est absolument pestilentielle.

Mais les accusés ne sentent rien.

Les détenus qui sont conduits à la Maison Blanche sont presque systématiquement battus, le plus souvent atrocement. On torture les hommes les uns devant les autres, parfois on les oblige à se battre entre eux, on bat à mort un père devant son fils. Les hommes hurlent de douleur, il y a du sang sur les murs, sur le sol. Les hommes qui en ressortent vivants portent des plaies ouvertes, ne peuvent pas se tenir debout, sont inconscients. Les cadavres qui en sont retirés ont des plaies ouvertes au crâne, les articulations coupées, la gorge tranchée. Certaines victimes sont finalement exécutées par balle.

Les accusés n’entendent rien, ne voient rien, ne font rien.

A force de coups, parfois en raison des coups mortels reçus, des détenus meurent. Leurs cadavres sont laissés sur le terrain entre la Maison Blanche et la Pista, parfois plusieurs jours. Ils seront chargés dans des petits camions par des détenus.

Les accusés ne voient toujours rien ou feignent de ne pas voir, en tout état de cause, ne prennent aucune mesure d’aucune sorte.

Certains cadavres seront retrouvés, bien plus tard, dans des fosses, dont ceux de deux femmes.

Le 12 juillet 1992, c’est la Saint Pierre (Petrovdan), une grande fête orthodoxe à l’occasion de laquelle on fait un grand feu. Ce 12 juillet 1992, on fait un grand feu avec des pneus. Des coups de feu sont tirés vers une des salles où il y a des détenus. Certains sont appelés hors du hangar. On entend des hurlements. L’air sent le pneu brûlé et la chair grillée.

Aucun accusé n’a-t-il rien senti, rien vu ?

Nous n’avons pu ici qu’évoquer à très grands traits les conditions effrayantes de vie dans les camps, notamment dans celui d’Omarska. A l’évidence, ces faits ne peuvent s’analyser autrement que comme des crimes.

Ecoutons ce que nous a dit un témoin : « Après cette tragédie qui est survenue là-bas, je ne pense pas pouvoir dire que je serais jamais heureuse. D’abord j’ai perdu mon père, ma sśur. Ma fille souffre de très grosses séquelles de ces événements et moi aussi. Et je voudrais savoir qui est la personne qui est habilitée pour me faire sortir de ma maison, de ma ville, de mon Etat, pour me retrouver réfugiée quelque part au bout du monde. J’espère que ceux qui sont responsables de cela seront punis tant par Dieu que par vous, et j’espère que vous le ferez de façon honnête et équitable ».

II - QUELS CRIMES ONT ÉTÉ RETENUS PAR LA CHAMBRE ?

Le Procureur a qualifié tous les faits que nous venons d’exposer et a reproché aux accusés d’avoir commis :

des persécutions (article 5 du Statut) au moyen de meurtres, de tortures et de sévices, de violences sexuelles et de viols, de harcèlement, d’humiliation et de violences psychologiques ; et d’internement dans des conditions inhumaines ;

des tortures (articles 3 et 5 du Statut) et des traitements cruels (article 3 du Statut) ;

des assassinats (article 5 du Statut) et des meurtres (article 3 du Statut).

s’agissant de M. Radic seul, des viols et tortures (article 5 du Statut), pour des faits également qualifiés de tortures ou atteintes à la dignité des personnes en vertu de l’article 3 du Statut.

Il faut souligner deux choses :

d’une part, le Procureur a distingué deux des accusés comme ayant personnellement et physiquement commis de nombreux crimes, M. Radic pour des faits de viol, principalement, et M. Zigic pour des meurtres et des violences ;

d’autre part, à la demande de la Chambre alors saisie, le Procureur a présenté pour chaque accusé une liste de victimes qui permet de différencier notamment les faits reprochés à M. Zigic de ceux reprochés aux autres accusés.

D’une manière générale, la défense ne conteste pas la qualification juridique des faits telle que retenue par l’accusation. Ce qu’elle conteste essentiellement, c’est le rôle des accusés dans la commission de ces crimes.

Dans son jugement, la Chambre s’appuie essentiellement sur la jurisprudence du Tribunal pour ce qui est de la définition des crimes. Je ne m’étendrai donc pas ici sur la qualification des crimes, sinon pour rappeler que, en dressant le constat judiciaire de nombreux faits, la Chambre avait décidé très tôt au cours du procès qu’« il existait, dans les lieux et au temps visé à l’acte d’accusation, une attaque massive et systématique dirigée contre la population musulmane et croate de la municipalité de Prijedor. » Enfin, dans la mesure où les mêmes faits ont été qualifiés de plusieurs manières, la Chambre conclut son jugement en faisant application de la jurisprudence de la Chambre d’appel en ce qui concerne le cumul des infractions et reprend notamment la jurisprudence selon laquelle les mêmes faits peuvent donner lieu à des condamnations à la fois au titre de l’article 3 du Statut et au titre de l’article 5 du Statut.

A l’analyse, la Chambre conclut que des crimes de persécution, meurtres, torture et traitement cruel ont été commis.

III - LES ACCUSÉS KVOCKA, RADIC, KOS, ZIGIC ET PRCAC SONT-ILS COUPABLES DE L’UN OU L’AUTRE DE CES CRIMES ?

La question principale à laquelle la Chambre doit répondre est de savoir si les accusés peuvent être retenus coupables de ces crimes. Très schématiquement, les thèses de l’accusation et de la défense sont les suivantes.

Pour le Procureur, les faits qui se sont déroulés à Omarska ou à Keraterm tels qu’ils sont reprochés doivent être appréhendés dans la perspective de l’ensemble des crimes commis à l’époque dans la région de Prijedor. L’essentiel est qu’une attaque massive ou systématique à caractère discriminatoire a coïncidé avec la commission de nombreux crimes par différents individus. Certains crimes peuvent être isolés. Mais, s’agissant de camps tels que ceux qui sont en cause ici, c’est la doctrine du but commun, ou de l’entreprise criminelle conjointe, qui doit être appliquée. Ainsi, pour le Procureur, les accusés ne sont pas seulement responsables des crimes qu’ils ont directement et personnellement commis. Ils le sont aussi pour l’ensemble des crimes qui s’inscrivent dans le but commun. Les accusés Kvocka, Radic, Kos, Zigic et Prcac sont en conséquence responsables, dit le Procureur, pour l’ensemble des crimes commis à Omarska, l’accusé Zigic portant en outre la responsabilité des incidents s’étant déroulés à Keraterm pour lesquels il est poursuivi. Tous les accusés sont responsables sur la base de l’article 7 1) du Statut, c’est-à-dire, qu’ils sont individuellement responsables. Mais le Procureur avance que les accusés Kvocka, Radic, Kos et Prcac sont également responsables au titre de leur qualité de supérieur hiérarchique en vertu de l’article 7 3) du Statut.

La Défense a souligné, d’une manière générale, que l’accusation n’a pas avancé la théorie du but commun au moment de l’acte d’accusation, que les accusés n’avaient aucune fonction d’autorité au sein du camp et que tous occupaient des fonctions subalternes ou des métiers sans rapport avec leur position à l’époque des faits : M. Kvocka était un jeune policier non gradé ; M. Radic était un policier expérimenté mais non gradé également ; M. Kos était serveur ; M. Zigic était chauffeur de taxi et musicien ; M. Prcac, enfin, était retraité au moment où il a été rappelé pour servir à Omarska. Les défenses des accusés Kvocka et Prcac ont en outre souligné que ces deux derniers avaient passé peu de temps au camp d’Omarska. M. Zigic n’aurait passé que huit heures, sur une période d’une dizaine de jours, à Keraterm. Et s’il a pu commettre quelques écarts, dus notamment à son intempérance et à un caractère impulsif, il n’a pas pu commettre nombre des meurtres et des violences qui lui sont imputés, notamment en raison d’une blessure qu’il a subie à cette époque.

La Chambre était donc confrontée à des questions de nature très différente, la réponse à la première conditionnant très largement les autres : existait-il une entreprise criminelle conjointe ?

A titre préliminaire, la Chambre relève que, dans l’affaire Celebici, la Chambre d’appel a considéré que, pour souhaitable que cela soit, l’identification dans l’acte d’accusation du mode de participation exacte dans les crimes n’est pas en soi déterminante. En d’autres termes, bien que le Procureur n’ait pas, loin s’en faut, expressément fait référence à la théorie du but commun dans l’acte d’accusation, rien n’interdit à la Chambre de considérer cette théorie, qui ne constitue, finalement, qu’une des nombreuses formes de participation envisagée par le Statut. Pour reprendre les mots de la Chambre d’appel dans l’affaire Tadic : « SLe StatutC n’exclut pas les cas où plusieurs personnes poursuivant un but commun entreprennent de commettre un acte criminel qui est ensuite exécuté soit de concert par ces personnes, soit par quelques membres de ce groupe de personnes. Quiconque contribue à la perpétration d’un crime par le groupe de personnes visé ou par certains de ses membres, en poursuivant un but criminel commun, peut être tenu pénalement responsable sous certaines conditions S..C. »

La Chambre a soigneusement évalué tous les arguments présentés puis examiné scrupuleusement l’ensemble des pièces du dossier et les témoignages, très nombreux, des victimes. Ce faisant, elle s’est attachée à vérifier la fiabilité des déclarations des uns et des autres, s’abstenant de toute approche systématique ou monolithique. C’est ainsi qu’un témoin considéré comme crédible sur un incident a pu être écarté au sujet d’un autre incident.

La Chambre a pesé méticuleusement tous les éléments susceptibles de fournir une indication d’une part sur la place exacte de l’un ou l’autre accusé au sein du camp, d’autre part sur les actes ou omissions qui ont été les siens, enfin sur la relation pouvant exister entre chacun des accusés et les camps mis en place le 30 mai 1992.

Et il n’y a aucun doute possible.

Les camps d’Omarska, de Keraterm, de Trnopolje ne sont pas un accident, ils ne sont pas le fruit du hasard, les éléments de preuve démontrent qu’ils sont le résultat d’une politique délibérée visant à imposer un système de discrimination aux populations non-serbes de Prijedor. La Chambre convient tout à fait qu’aucun de vous, Messieurs les accusés, ne peut se voir reprocher d’avoir participé, même de loin, à l’élaboration ou à la planification de ce système. La Chambre n’affirme pas davantage que vous ayez été impliqués, à un titre ou à un autre, dans la conception des camps ou dans la décision de les ouvrir.

Lorsque vous êtes en fonction dans le camp d’Omarska, Messieurs Kvocka, Radic, Kos et Prcac, vous savez bien ce qui se passe. Et vous, M. Zigic, quand vous entrez dans un camp, c’est moins pour y exercer des fonctions de garde, ce que vous n’avez été qu’à Keraterm et pour un temps très court, que pour vous livrer au plaisir sadique de frapper les détenus, seul ou avec d’autres, sans vous inquiéter le moins du monde de la souffrance que vous leur infligez, jusqu’à la mort, parfois.

Mais la Chambre ne peut accepter que vous n’ayez pas eu conscience de participer directement à ce système de persécution dans sa composante « camps ». La politique discriminatoire mise en śuvre par d’autres que vous ne s’est pas arrêtée aux portes des camps.

Bien au contraire.

Les camps, sous prétexte de rechercher d’éventuels opposants criminels, n’étaient qu’un rouage de plus dans la machine à persécuter les populations non-serbes de la municipalité de Prijedor. Ce rouage était en lui-même, par définition, discriminatoire : il n’y a eu pour ainsi dire aucun Serbe détenu à Omarska et ceux qui le furent étaient accusés de collaborer avec les ennemis non-serbes.

Ce rouage, c’est vous qui, chacun d’une manière différente, avez permis qu’il tourne.

Pour que les camps fonctionnent, il fallait un commandant de camp, un adjoint au commandant ou quelqu’un en faisant fonction, des agents administratifs pour tenir des listes de prisonniers, des chefs d’équipe pour permettre une rotation entre les gardes.

Aucun de vous ne peut raisonnablement soutenir que ces camps avaient pour seul but de procéder plus facilement à des enquêtes pour identifier d’éventuels criminels, ce qui, en soi, aurait pu se concevoir.

Toute personne entrant dans l’un de ces camps pouvait immédiatement percevoir la réalité qu’ils recouvraient, c’est à dire des espaces de privation de liberté où la violence est constante, délibérée, infligée aussi bien par les personnes supposées garder les prisonniers que par des personnes venant de l’extérieur, une violence infligée à des détenus mal nourris, peu ou pas soignés, pas lavés, souffrant de dysenterie, une violence qui va jusqu’au meurtre : ce sont les cadavres que l’on laisse à l’air libre, au vu et au su de tous.

Dans ces conditions, comment pouvez-vous légitimement soutenir que vous ne saviez pas ?

Vous le saviez bien, M. Kvocka, puisque vous avez voulu faire sortir vos beaux-frères du camp d’Omarska. En tant que policier, vous saviez bien la différence entre tabassage et interrogatoire.

Vous le saviez bien, M. Radic, que la violence utilisée lors des interrogatoires était considérable, puisque, selon vos propres déclarations, vous passiez beaucoup de temps dans les bureaux.

Vous aussi, M. Prcac, qui vous êtes plu à souligner le caractère strictement administratif de vos tâches, comme si le blanc du papier pouvait cacher la couleur du sang sur les murs ou la puanteur ambiante.

Vous le saviez bien, M. Kos, vous qui avez argué de votre qualité de serveur pour insister que vous n’étiez même pas un policier et que donc vous ne commandiez rien ni personne. Mais nous savons que les gardes fonctionnaient selon le système des trois-huit. Nous savons donc que vous étiez là au moins huit heures par jour. C’est pour cela que les victimes ont pu vous identifier comme chef d’équipe et peu importe que vous n’ayez pas été policier auparavant. Il faut même croire que cela vous a plu, puisque vous êtes resté tout le temps que le camp a fonctionné et que vous avez fait un stage de police par la suite.

Et vous, M. Zigic, nous savons bien que vous aimiez venir à l’improviste au camp d’Omarska, au camp de Keraterm ou au camp de Trnopolje, nous le savons car vous êtes tellement excessif que même les autres gardes se plaignent de vous et des rapports sont faits pour que des mesures soient prises qui vous empêchent de revenir.

La Chambre souhaite que vous la compreniez bien. La Chambre ne dit pas que vous aviez prévu, ni que vous souhaitiez, que les choses se passent comme elles se sont déroulées.

La Chambre dit que vous avez eu pleinement connaissance du système de persécution mis en śuvre aux camps d’Omarska, de Keraterm ou de Trnopolje et que vous y avez participé, chacun à votre manière, en toute connaissance de cause.

Vous avez participé à cette orgie persécutoire infernale.

M. KVOCKA, VEUILLEZ VOUS LEVER

M. Kvocka, vous êtes un policier professionnel, très au fait des règles applicables en matière de police. Quand vous travaillez au camp d’Omarska, entre le 29 mai et le 23 juin 1992, vous êtes, selon vos déclarations, officier de service. Vous n’avez pas de fonction officielle, pas de responsabilité particulière. Vous assistez bien à quelques violences mais vous n’y participez jamais. Au contraire, vous dites avoir voulu aider certaines personnes, notamment vos beaux-frères, qui sont musulmans.

Mais la Chambre considère que des actes isolés de bienveillance à l’égard de certains prisonniers ne sauraient absoudre de crimes éventuels.

Vous n’êtes pas un petit fonctionnaire tout en bas de l’échelle qui ne saurait en rien influer sur le cours des événements. Les éléments de preuve présentés à l’audience montrent que vous êtes le bras droit du commandant du camp. A ce titre, vous répercutez les ordres qu’il prend. Mais votre rôle ne s’arrête pas là. Vous remplacez le commandant du camp, quand ce dernier n’est pas là. Vous pouvez aussi intervenir pour que les mauvais traitements subis par un détenu cesse. Vous savez que des sanctions peuvent être prises contre les gardes responsables d’exactions mais vous ne prendrez pas de mesure significative en ce sens. Vous constatez le climat de violence permanente qui règne au sein du camp et pourtant, jour après jour, vous revenez exercer vos fonctions de responsabilité à Omarska. Vous nous avez déclaré que vous seriez resté plus longtemps au camp si l’on vous avait donné le choix.

En résumé, non seulement vous connaissez le système de persécution que représente le camp d’Omarska, mais vous y adhérez, vous permettez qu’il fonctionne. Et vous remplissez si bien votre tâche que, pour les victimes, vous êtes incontestablement le commandant-adjoint du camp.

Que vous soyez un policier professionnel aimant son métier, la Chambre l’accepte. Que vous n’auriez pas, de vous-même, décidé de commettre des mauvais traitements de manière systématique et répétée au préjudice de non-Serbes, la Chambre peut l’admettre. Mais vous avez participé à ce système et ce faisant vous avez endossé une responsabilité criminelle.

Pour les raisons exposées en détail dans le jugement, la Chambre vous déclare coupable du crime contre l’humanité de persécution et des crimes de guerre de meurtre et de torture.

Vous pouvez vous asseoir.

M. KOS, VEUILLEZ VOUS LEVER

Lorsque vous êtes mobilisé, le 6 mai 1992, dans les forces de réserve de la police, vous êtes serveur, M. Kos. Vous serez affecté au camp d’Omarska de fin mai à début août 1992 au moins. Au camp d’Omarska, vous êtes, selon votre défense, une jeune recrue inexpérimentée qui n’a aucune autorité d’aucune sorte. Pour le Procureur, vous êtes un chef d’équipe de gardes. Les éléments de preuve présentés ont convaincu la Chambre sans doute possible que vous étiez bien un chef d’équipe, connu sous le surnom de « Krle ». Il est intéressant de noter au passage que M. Kvocka a décrit les fonctions qui vous auraient été confiées par Zeljko Meakic de la même manière que M. Radic a défini les siennes : chargé des relations radio et téléphoniques.

En réalité, vous êtes bien un chef d’équipe, les gardes s’adressent à vous en cette qualité, vous leur donnez des directives. Il vous est certes arrivé, en de très rares occasions, d’intervenir pour empêcher que des violences soient commises à l’égard d’un détenu.

Mais de nombreux témoignages vous ont mis en cause, d’abord pour avoir été parfaitement en mesure de constater que des crimes avaient été commis ou étaient en train de se commettre et être resté sans réaction ; ensuite pour avoir vous-même participé à des violences contre des détenus ; enfin pour vous être livré occasionnellement à des extorsions de fond au préjudice de détenus.

Vous n’étiez pas seulement un maillon de la chaîne, tournant passivement en même temps que la roue. Vous étiez un maillon fort et vous n’hésitiez pas, le cas échéant, à contribuer activement à accroître la violence et la terreur au sein du camp.

La Chambre vous reconnaît ainsi coupable du crime contre l’humanité de persécution, ainsi que des crimes de guerre de meurtre et torture.

M. RADIC, LEVEZ-VOUS S’IL VOUS PLAIT

M. Radic, vous êtes également un policier professionnel, depuis 1972. Selon vos propres déclarations, vous avez travaillé au camp d’Omarska du 28 mai 1992 à la fin août 1992, d’abord comme garde puis comme chargé des communications radio et téléphoniques.

Les éléments de preuve reçus par la Chambre montrent que vous occupez plus précisément les fonctions de chef d’équipe. Il y avait trois chefs d’équipe à Omarska : vous-même, M. Kos et un certain Ckalja. Vous étiez d’ailleurs plus connu des détenus sous votre surnom de « Krkan » et vous aviez une réputation : celle du chef de l’équipe la plus violente.

En tant que chef d’équipe, vous êtes libre de déambuler dans le camp, dans les bureaux, sur la Pista, dans la Maison Blanche. Surtout, vous donnez des ordres aux gardes, en tout cas vous exercez sur eux une autorité, en leur assignant leur poste, en leur disant de conduire les détenus à tel ou tel endroit. Votre autorité est telle que, des témoins nous l’ont déclaré, vous pouvez faire cesser des violences à l’encontre de prisonniers (en particulier lorsqu’ils viennent de la ville où vous avez exercé vos fonctions) ou rassurer une femme sur le comportement inquiétant de l’un des gardes à son encontre.

Mais cette générosité est très sélective. Il résulte clairement des témoignages que les gardes de votre équipe étaient particulièrement brutaux. Vous accompagnez des détenus jusqu’aux bureaux où ils seront interrogés et vous les reconduisez après qu’ils ont été non seulement interrogés mais battus. Vous n’empêchez pas que des personnes extérieures, notamment M. Tadic ou M. Zigic, rentrent dans le camp et se livrent à des exactions au préjudice de détenus. Plusieurs détenus meurent des coups reçus des gardes de votre équipe. Et vous ne prenez guère de mesures pour empêcher vos gardes d’exercer des violences. Une telle attitude ne peut que constituer un encouragement à ce qu’elles se poursuivent.

En outre, vous avez une attitude tout à fait inadmissible à l’égard de plusieurs des femmes détenues à Omarska. Les éléments réunis contre vous à cet égard sont accablants. Vous ne vous contentez pas d’avoir des gestes déplacés ou des paroles offensantes, ou d’essayer de monnayer vos bons offices. Vous vous livrez à des attouchements. Vous violez. Compte tenu de l’état de vulnérabilité dans lequel se trouvaient les victimes, du caractère délibéré de la souffrance qu’elles ont subie, de l’état d’angoisse dans lequel vous mainteniez les femmes détenues à Omarska, la Chambre caractérise les actes de violence sexuelle qu’elle retient contre vous comme des actes de torture au sens de l’article 3 du Statut.

En définitive, la Chambre vous reconnaît coupable du crime contre l’humanité de persécution et des crimes de guerre de meurtre et torture.

Asseyez-vous, M. Radic.

M. ZIGIC, VEUILLEZ VOUS LEVER

Les crimes qui vous sont reprochés, M. Zigic, diffèrent de ceux reprochés à vos coaccusés en ce que les faits se sont déroulés non seulement à Omarska mais également à Keraterm et Trnopolje.

De nombreux témoins ont évoqué la violence de votre comportement, y compris à l’égard de ceux qui, quelques jours à peine auparavant, vous étaient très proches. Les faits sont patents. Tantôt seul, tantôt en compagnie d’individus de votre acabit, vous vous saisissez d’un détenu. Il vous arrive de lui réclamer de l’argent. Mais vous ne vous contentez pas de cela.

Vous aimez utiliser la force, vous aimez faire mal, vous aimez pousser les détenus à la limite de leur capacité à endurer la souffrance, n’hésitant pas à utiliser des armes parfois, comme un bâton muni d’une boule de métal à une extrémité. Vous aimez humilier, aussi, forçant les détenus à laper l’eau comme des chiens ou à boire leur propre sang. Vous vous acharnez parfois, par exemple en faisant courir un détenu avec une mitrailleuse, puis le frappant encore. Votre violence se distingue à ce point qu’un rapport est établi contre vous.

La Chambre a tenu à distinguer parmi les crimes qui vous sont reprochés ceux qui vous sont imputables de ceux à l’égard desquels il existe un doute. Vous êtes ainsi acquitté notamment de l’incident dit « Massacre de la salle 3 » au camp de Keraterm et de quelques autres incidents.

Mais la liste de vos victimes pour lesquelles il n’existe aucun doute raisonnable est longue, très longue.

Si vous avez pu abuser d’alcool ou de tranquillisants, vous ne vous êtes pas trouvé en état d’intoxication aiguë à l’époque des faits susceptible d’abolir votre capacité à agir. En définitive, dans le Jugement, la Chambre vous déclare coupable du crime contre l’humanité de persécution et des crimes de guerre de meurtre, torture et traitement cruel.

Asseyez-vous, M. Zigic.

M. PRCAC, LEVEZ VOUS S’IL VOUS PLAIT

Agé de près de 55 ans, vous étiez à la retraite le 29 avril 1992 lorsque vous avez été mobilisé pour reprendre votre métier de technicien de police scientifique au poste de police d’Omarska. Vous avez été affecté au camp d’Omarska le 14 juillet et vous y êtes resté jusqu’au 6 août 1992. Le débat essentiel en ce qui vous concerne a été de savoir quelle était votre position au sein du camp, l’accusation soutenant que vous étiez le commandant adjoint et votre défense alléguant que vous n’étiez qu’un agent administratif sans autorité.

Les témoins ont confirmé que vous passez la majeure partie de votre temps dans une pièce du bâtiment administratif. Mais cette pièce se trouve à quelques mètres à peine des bureaux où sont interrogés les détenus. Vous circulez librement dans le camp, on vous voit souvent avec des listes à la main. Ces listes servent à appeler les détenus pour les faire passer d’un endroit du camp à un autre, notamment lorsqu’il s’agit pour eux d’aller subir un interrogatoire ou d’organiser les transferts du camp d’Omarska vers un autre camp ou une autre destination. Les gardes s’adressent à vous en cas de problème, vous demandent par exemple l’autorisation de sortir un détenu de la Maison Blanche. Pour les détenus, vous êtes le commandant-adjoint du camp. La Chambre considère que la preuve n’a pas été rapportée de ce que telle était bien votre position mais relève que vous aviez parfaitement connaissance de la violence régnant dans le camp et des crimes qui se commettaient. Vous n’êtes cependant pratiquement jamais intervenu et avez effectué vos tâches avec diligence, contribuant activement au système de persécution en place.

La Chambre vous déclare coupable du crime contre l’humanité de persécution et des crimes de guerre de meurtre et torture.

IV - LA PEINE

Comme l’a dit Bertold Brecht : « Le ventre est encore fécond d’où est sorti la bête immonde ». Il faut faire mentir Brecht. La justice peut contribuer à ce but par la mesure des jugements qu’elle prononce. Chaque situation individuelle est unique.

Pour déterminer la peine que chacun de vous mérite, nous avons naturellement pris en compte la gravité des crimes qui vous sont respectivement imputés.

En outre, nous avons voulu signifier clairement trois éléments qui nous paraissent déterminants pour la fixation de la peine :

le premier élément tient à la combinaison de la position hiérarchique d’un accusé et de sa participation physique aux crimes.

le deuxième élément, c’est le souci d’apaiser les victimes, le souci de ne pas encourager un quelconque sentiment de vengeance car, comme l’exprime judicieusement une maxime chinoise : « si vous cherchez à vous venger, creusez deux tombes ».

le troisième élément, en revanche, joue en sens inverse ; c’est l’observation qu’il y a certainement, au regard des crimes commis sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, notamment à Prijedor, des personnes dont la responsabilité individuelle est bien supérieure à la vôtre ; cet élément joue incontestablement dans le sens d’une atténuation de la peine.

Pour toutes les raisons que nous venons d’évoquer et qui sont exposées en détail dans le jugement, cette Chambre condamne chacun d’entre vous en tant que membre d’une entreprise criminelle pour les faits commis à Omarska et M. Zigic, seul, pour les faits commis à Keraterm et Trnopolje et prononce à votre encontre : (je demande à tous les accusés de se lever)

M. Kvocka, la peine de 7 ans d’emprisonnement ;

M. Kos, la peine de 6 ans d’emprisonnement ;

M. Radic, la peine de 20 ans d’emprisonnement ;

M. Zigic, la peine de 25 ans d’emprisonnement ;

et M. Prcac, la peine de 5 ans d’emprisonnement.

L’audience est levée.

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Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
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