“ Le TPIY a mis en accusation plus de 70 personnes pour des crimes comprenant des sévices sexuels et des viols. Au début de l'année 2011, près de trente d'entre elles avaient été condamnées.”
Dès sa création, le TPIY s’est lancé dans des enquêtes et poursuites de grande envergure concernant des violences sexuelles perpétrées en tant de guerre. Dès 1995, il a établi un certain nombre d’actes d’accusation pour des violences sexuelles commises en Bosnie-Herzégovine.
Depuis lors, il a mis en accusation plus de 70 personnes pour des crimes comprenant des sévices sexuels et des viols. Au début de l'année 2011, près de trente d'entre elles avaient été condamnées..
Le TPIY a rendu un certain nombre de jugements et arrêts clés qui ont contribué au développement de la justice internationale dans le domaine des crimes sexuels, en rendant possibles les poursuites pour violences sexuelles en tant que crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.
Le viol, jusqu’alors considéré comme une exaction commise de façon aléatoire par certains individus, a été reconnu comme un puissant instrument de guerre, utilisé pour intimider, persécuter et terroriser l’ennemi. Vous trouverez ci-dessous un aperçu de certaines affaires et des jugements et arrêts afférents.
Duško Tadić : premier procès pour violences sexuelles contre des hommes
Le procès de l’ancien président du Conseil local du Parti démocratique serbe à Kozarac, au nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine, est historique à bien des égards. Il s’agit du premier procès international pour crimes de guerre depuis ceux de Nuremberg et de Tokyo et, fait tout aussi important, du premier procès mené par une instance internationale pour des crimes de guerre comprenant des chefs d’accusation de violences sexuelles.
Ce procès a apporté au monde entier la preuve que le système de justice pénale internationale, qui n’en est alors qu’à ses débuts, peut mettre fin à l’impunité pour les crimes sexuels, et qu’il est possible d’en punir les auteurs.
La Chambre de première instance a conclu que, après la prise de contrôle de Prijedor et des environs, au nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine, les forces serbes ont interné des milliers de Musulmans et de Croates dans des camps. Au cours d’un épisode atroce survenu au camp d’Omarska, l’un des détenus a été contraint de mordre les testicules d’un autre prisonnier, tandis que des hommes en uniforme, dont l’accusé Duško Tadić, les encerclaient en lui criant de mordre plus fort. En mai 1997, la Chambre de première instance a déclaré Duško Tadić coupable de traitements cruels (violation des lois ou coutumes de la guerre) et d’actes inhumains (crime contre l’humanité), pour sa participation à ces faits et à d’autres crimes.
Deux ans plus tard, la Chambre d’appel a reconnu Duško Tadić coupable en outre d’infractions graves aux Conventions de Genève, pour traitement inhumain et pour avoir intentionnellement causé de grandes souffrances ou porté des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé. « Par sa présence, [Duško Tadić] a aidé et encouragé le groupe d’hommes qui ont pris une part active à ces faits […] En particulier, nous retenons la cruauté et l’humiliation infligées à la victime et aux autres détenus présents », a déclaré la Chambre d’appel. En janvier 2000, Duško Tadić a été condamné à vingt ans d’emprisonnement.
D’autres cas de violences sexuelles perpétrées contre des hommes ont été examinés par le Tribunal, notamment dans les affaires Češić, Mucić et consorts, Todorović et Simić.
Mucić et consorts : le viol en tant que torture
Le procès de ces quatre anciens membres des forces armés de Bosnie a marqué une étape dans le domaine de la justice internationale car, pour la première fois, le viol a été reconnu comme une forme de torture, un crime sanctionné en tant qu’infraction grave aux Conventions de Genève et en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre.
Trois de ces quatre accusés ont été mis en cause pour des violences sexuelles perpétrées contre des civils serbes de Bosnie détenus dans le camp de Čelebići, en Bosnie-Herzégovine centrale.
Lors du procès, la Chambre de première instance a examiné un certain nombre de chefs d’accusation pour violences sexuelles. Esad Landžo, un gardien du camp, a forcé deux frères à se livrer réciproquement à une fellation, à la vue des autres détenus, et il a placé une mèche allumée autour de leurs organes génitaux. Il a également placé une mèche allumée autour des organes génitaux d’un autre détenu et l’a contraint à courir entre des rangs de prisonniers.
Le TPIY a, il convient de le noter, tenu le supérieur hiérarchique d’Esad Landžo responsable des actes de ce dernier : Zdravko Mucić, le commandant du camp, a été déclaré coupable de ces crimes et d’autres crimes commis par ses subordonnés (infractions graves aux Conventions de Genève et violations des lois ou coutumes de la guerre).
Un précédent juridique a été établi lorsque la Chambre a statué sur les accusations de viol commis par le commandant adjoint du camp, Hazim Delić. Pour la première fois, un jugement rendu par un tribunal pénal international définissait le viol comme une forme de torture.
Hazim Delić a violé deux femmes détenues dans le camp, Grozdana Ćećez et Milojka Antić pendant qu’il les interrogeait. La Chambre de première instance a conclu que les viols avaient pour but d’obtenir des informations et de punir les femmes lorsqu’elles ne pouvaient pas en donner. Les viols visaient également à les intimider et à les soumettre. La Chambre de première instance a également conclu que les violences infligées aux deux femmes servaient un but discriminatoire : ces violences leur étaient infligées parce qu’elles étaient des femmes.
En rendant son jugement en 1998. La Chambre a fait remarquer que « tout viol est un acte abject qui porte fondamentalement atteinte à la dimension humaine et à l’intégrité physique». Les juges ont considéré que des actes de viol peuvent constituer un acte de torture aux termes du droit coutumier.
La Chambre d’appel du TPIY a confirmé les déclarations de culpabilité prononcées par la Chambre de première instance et a condamné Hazim Delić, Zdravko Mucić et Esad Landžo à, respectivement, dix-huit, neuf et quinze ans d’emprisonnement.
Furundžija : un procès portant exclusivement sur des sévices sexuels
Le procès d’Anto Furundžija est le premier mené par le TPIY à avoir concerné exclusivement des sévices sexuels. Le procès portait sur les nombreux viols subies par une femme musulmane de Bosnie lors d’interrogatoires conduits par Anto Furundžija, qui était à l’époque commandant des Jokers, une unité spéciale du Conseil de défense croate (HVO) en Bosnie-Herzégovine.
Anto Furundžija ne l’a pas violée lui-même, mais ses subordonnés, devant d’autres soldats qui regardaient la scène en riant. Ayant été commandant de l’unité, Anto Furundžija a néanmoins été reconnu coupable en tant que coauteur et pour avoir aidé et encouragé le crime. La Chambre d’appel a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée à l’encontre d’Anto Furundžija et l’a condamné à dix ans d’emprisonnement.
Dans l’exposé des motifs de son jugement, la Chambre de première instance a contribué de façon importante à définir le viol dans le contexte des crimes internationaux. Dans le Statut du Tribunal, le viol n’est mentionné de façon explicite que parmi les crimes contre l’humanité. La Chambre de première instance a élargi la portée du viol et déclaré qu’il pouvait également faire l’objet de poursuites en tant qu’infraction grave aux Conventions de Genève et en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre.
Les juges du Tribunal ont, en outre, également confirmé le fait que le viol pouvait être utilisé comme un instrument pour commettre le génocide. Le viol, ont-ils déclaré, « peut également constituer [… ] un acte de génocide, si les éléments constitutifs sont réunis, et faire l’objet de poursuites en tant que tel ». L’année 1998 marque également un précédent historique, l’institution sœur du TPIY, le TPIR, ayant rendu dans l’affaire Akayesu un jugement dans lequel elle concluait que le viol était constitutif du génocide.
Kunarac et consorts : esclavage sexuel et viol en tant que crimes contre l’humanité
Le deuxième procès du TPIY portant exclusivement sur des violences sexuelles a lui aussi amplement contribué au développement du droit pénal international, en élargissant à l’esclavage sexuel l’éventail des actes constitutifs de la réduction en esclavage en tant que crime contre l’humanité. Ce procès a également permis de définir les crimes sexuels au regard du droit coutumier.
Les trois accusés, des officiers de l’Armée des Serbes de Bosnie, Dragoljub Kunarac, Zoran Vuković et Radomir Kovač, ont joué un rôle prépondérant dans la mise en place et le maintien du système abject de camps où les femmes étaient violées, dans la ville de Foča, en Bosnie orientale.
La campagne de sévices sexuels a débuté après la prise de contrôle de la ville de Foča par les Serbes de Bosnie, au printemps 1992. Ceux-ci ont rassemblé des femmes musulmanes dans des centres de détention situés dans les alentours de la ville, où elles ont été violées par des soldats serbes. De nombreuses femmes ont ensuite été emmenées dans des appartements et des hôtels qui étaient gérés comme des maisons closes à disposition des soldats serbes. Les juges ont entendu le témoignage de plus de 20 femmes au sujet de viols continuels, de viols collectifs et d’autres formes de sévices sexuels et d’intimidation.
Leurs témoignages révélaient qu’elles avaient été également utilisées pour effectuer des tâches ménagères, qu’elles devaient se plier à toutes les exigences de leurs ravisseurs, qu’elles ne pouvaient pas quitter les lieux et qu’elles étaient achetées et vendues comme des marchandises. En résumé, leurs conditions de vie étaient celles d’esclaves.
Pour les juges, il ne faisait aucun doute que la réduction en esclavage était de nature sexuelle. Cette conclusion a été déterminante, car le droit international avait, jusqu’alors, associé la réduction en esclavage au travail forcé et à la servitude. La définition de ce crime a par conséquent été élargie à la servitude sexuelle.
Les trois accusés ont également été reconnus coupables de viol en tant que crime contre l’humanité, la première condamnation de ce type dans l’histoire du TPIY, prononcée peu après le précédent historique que l’affaire Akayesu avait constitué en 1998.
Au cours de l’attaque généralisée et systématique menée contre des civils, le viol était utilisé pour mettre en oeuvre une stratégie d’« expulsion par la terreur » des Musulmans hors de la région de Foča. Les viols sont devenues pour les Serbes le moyen « d’affirmer leur supériorité et leur victoire sur les Musulmans ». Alors qu’il violait FWS-183, l’accusé Dragoljub Kunarac lui a dit qu’elle devrait apprécier d’être « baisée par un Serbe ». Dragoljub Kunarac l’a violée, ainsi qu’un autre soldat, puis s’est moqué d’elle et lui a dit qu’elle aurait « un bébé serbe… »
La Chambre d’appel a confirmé les déclarations de culpabilité, en juin 2002. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovač et Zoran Vuković ont été respectivement condamnés à vingt-huit ans, vingt ans et douze ans d’emprisonnement.
Krstić: lien entre viol et nettoyage ethnique
Radislav Krstić était général de division au sein de l’Armée des Serbes de Bosnie et commandait le corps d’armée de la Drina au cours de l’opération ayant entraîné l’exécution de plus de sept milles garçons et hommes musulmans de Bosnie à Srebrenica, en juillet 1995.
Lorsque les forces armées serbes de Bosnie se sont emparées de Srebrenica, quelque 20 à 30 000 habitants musulmans, pour la plupart des femmes, des enfants et des personnes âgées, se sont enfuis vers le village de Potočari, qui se trouvait à proximité. Plusieurs milliers d’entre eux ont tenté de trouver refuge dans la base militaire des Nations Unies. Les soldats serbes y sont entrés et se sont mêlés à la foule, menaçant, battant et tuant les personnes qui s’y trouvaient. Dans ce climat de violence frénétique, les soldats serbes ont également commis de nombreux viols.
La Chambre de première instance a déclaré Radislav Krstić responsable des crimes perpétrés à Potočari, dont les viols, qu’elle a estimé être des « conséquences naturelles et prévisibles de la campagne de nettoyage ethnique ». Les juges du TPIY ont fait remarquer que si l’expression « nettoyage ethnique » n’était pas un terme juridique, elle avait été utilisée dans diverses analyses juridiques auparavant. La Chambre de première instance a conclu qu’il y a « d’évidentes similitudes entre une politique génocidaire et ce qui est communément appelé une politique de "nettoyage ethnique" ». Les viols commis à Potočari n’ont toutefois pas été pris en compte pour déclarer Radislav Krstić coupable d’avoir aidé et encouragé le génocide, les événements de Potočari étant survenus avant la perpétration du génocide.
En 2004, la Chambre d’appel a confirmé les déclarations de culpabilité pour violences sexuelles. Radislav Krstic a été condamné à trente-cinq ans d’emprisonnement.