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Revivre le passé

La difficulté de témoigner

“ J’ai du mal à raconter ce que j’ai enduré…même s’il me faut parler maintenant, cela m’est difficile. Je  ne peux pas oublier, je n’oublierai jamais ce qui nous est arrivé, à mon enfant et moi, tant que je vivrai. Mais j’ai du mal à en parler… »

Pour un grand nombre de victimes, témoigner constituait une expérience décourageante - elle conduisait à revivre les événements et engendrait une grande détresse.

Le témoin 51 a déposé, en bénéficiant de mesures de protection pour dissimuler son identité, dans l’affaire Kunarac et consorts. Elle a témoigné au sujet des souffrances qu’elle a endurées, ainsi que sa fille, alors qu’elles étaient réduites en esclavage sexuel à Foča. Plus de soixante victimes sont, comme elle, venues témoigner devant le Tribunal des violences sexuelles qu’elles ont subies.

Pour un grand nombre de victimes, le fait de venir témoigner des viols et des violences sexuelles qu’elles avaient subies constituait une expérience décourageante - elle conduisait à revivre les événements et engendrait une grande détresse. Pourtant, l’une après l’autre, les victimes ont choisi de faire face à leurs violeurs et de s’exprimer dans le prétoire.

« Quiconque aurait vécu le genre de choses que j’ai vécues, voudrait faire entendre la vérité et raconter exactement ce qui s’est passé » a expliqué le Témoin 51, au procès Kunarac et consorts.

Les témoignages des victimes sont essentiels dans la poursuite des crimes de violence sexuelle, les éléments de preuve médicolégaux ayant souvent disparu à l’époque du procès. À moins que de tels éléments de preuve n’aient été enregistrés immédiatement après le crime, et que leur enregistrement ait été mis à disposition de tribunaux, la déposition des témoins est essentielle pour établir les faits.

Les témoins rencontrent diverses difficultés d’ordre social, psychologique et parfois même physique pour venir déposer. Certains témoins potentiels ont le sentiment que leur témoignage devant le Tribunal pourrait mettre leur sécurité en péril. En outre, le fait d’être identifié, au sein d’une communauté, comme une victime de violence sexuelle, risque de conduire à la stigmatisation, ce qui rend le retour à la vie normale encore plus difficile.

Personne ne voulait entendre mon histoire parce qu’ils savaient (…). Mon premier mari ne voulait pas m’entendre raconter mon histoire, parce qu’il savait.

De nombreux témoins victimes de violence sexuelles ont déposé devant le Tribunal en bénéficiant de certaines mesures de protection et sans que leur identité ne soit rendue publique. Mais les petites communautés d’où viennent les victimes ont souvent connaissance des épreuves terribles qu’elles ont vécues pendant la guerre, avant même qu’elles n’en témoignent. Les victimes auront la lourde tâche de surmonter la stigmatisation sociale, avant et après avoir témoigné au procès. Grâce à leurs dépositions, ces témoins ont contribué à rompre le silence qui se fait souvent après la commission de tels crimes.

« Personne ne voulait entendre mon histoire parce qu’ils savaient. Ils savaient ce qui s’était passé avant, et ce qui se passait à ce moment-là. Mon premier mari ne voulait pas m’entendre raconter mon histoire, parce qu’il savait dès le premier jour ce qui m’était arrivé dès que l’armée serbe s’était emparée de nous… », a expliqué le témoin 48, au cours du procès Kunarac et consorts

Relater des événements déchirants est éprouvant pour le témoin et peut entraîner un nouveau traumatisme, parce que la victime doit se remémorer les événements, en parler devant des étrangers et, d’une certaine manière, en refaire l’expérience. Cela peut entraîner divers symptômes émotionnels et physiques. Les témoins ont souvent expliqué que, avant de déposer, ils avaient de nouveau ressenti la peur qu’ils avaient éprouvé au moment du crime, le sentiment de perte le contrôle de leurs vies, ainsi que des réactions physiques, telles que la douleur. La Section d’aide aux victimes et aux témoins joue un rôle important pour aider les victimes à surmonter ces réactions et être de nouveau en possession de leurs moyens, dans un environnement qu’ils ne connaissent pas.
 

La Section d’aide aux victimes et aux témoins a établi un système précurseur dans le domaine du droit pénal international en permettant aux témoins de bénéficier d’une assistance psychologique vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, que ce soit avant, pendant ou après leur déposition.

Pour Helena Vranov-Schoorl, responsable de l’aide aux témoins, « la Section d’aide aux victimes et aux témoins a établi un système précurseur dans le domaine du droit pénal international  en permettant aux témoins de bénéficier d’une assistance psychologique vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, que ce soit avant, pendant ou après leur déposition. »

L’expérience acquise par la Section révèle que la majorité des victimes surmontent leur peur initiale et finissent par témoigner. Après avoir essayé, pendant des années, de reconstruire leurs vies, elles peuvent malgré tout être capables de venir faire face à leurs agresseurs.  Bien que le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal donne aux témoins la possibilité de déposer depuis une pièce voisine par voie de vidéoconférence, la grande majorité d’entre eux ont préféré faire face à leurs tourmenteurs et les identifier comme les auteurs du crime. Le fait d’être en salle d’audience dans de telles circonstances engendre toutefois un traumatisme qu’il est difficile de surmonter.

« Je crois que j’en suis de nouveau au point où il m’est difficile d’expliquer.  Je pense qu’en ce qui concerne beaucoup de choses, j’ai décidé d’essayer de les laisser de côté, derrière moi, même si au fond de moi, il y a toujours et il y aura toujours, bien sûr, des traces de tout cela. Je pense que pendant toute ma vie, certaines pensées, certaines douleurs que je ressentais et que je  ressens toujours ne disparaîtront jamais » (Témoin 087, Kunarac et consorts).

Malgré leur traumatisme et en dépit de tous les facteurs contribuant à leur mal-être, les témoins ont choisi, tour à tour, de relater leur expérience dans le prétoire. Certaines personnes ont éprouvé le besoin impérieux de témoigner, pendant ou après la guerre, en débit des conséquences psychologiques et physiques des tortures auxquelles elles étaient exposées.

« Je ne peux pas repenser à ces choses-là, parce que j’ai subi tant de tortures... Mais je suis fière d’être ici. Il faut que le monde sache ce qu’ils ont fait », a déclaré le Témoin 087, qui a déposé dans l’affaire Kunarac et consorts. »

Ils ont fait ce qu’ils pensaient être incapables de faire. Et ce que nous avons appris, en suivant leurs parcours, c’est que certaines personnes continuent de se sentir fortes après avoir témoigné.

Tous les témoins sont sous serment pendant toute la durée de leur déposition et ne peuvent avoir de contacts ni avec l’Accusation ni avec la Défense. Ils ne peuvent s’entretenir, pendant les pauses ou entre deux jours d’audience, qu’avec le personnel de la Section d'aide aux victimes et aux témoins. Ces contacts sont essentiels pour aider les témoins à surmonter la peur et les émotions qu’ils ressentent lors de leur témoignage. L’un des moyens d’aider les témoins à y parvenir est d’essayer de les ramener à la réalité du moment, de normaliser la situation, en d’autres termes, d’interrompre le cycle des souvenirs qui pourraient occasionner un nouveau traumatisme.

Après avoir déposé, de nombreux témoins se sentent incroyablement soulagés. « Ils ont fait ce qu’ils pensaient être incapables de faire. Et ce que nous avons appris, en suivant leurs parcours, c’est que certaines personnes continuent de se sentir fortes après avoir témoigné. Certains ont envoyé des lettres, y compris de leurs médecins, dans lesquelles ils déclaraient  que c’était "un moment clé de leur vie"  et que leur santé psychologique et physique s’était améliorée depuis qu’ils avaient témoigné », explique Wendy Lobwein, ancienne responsable de l’aide aux témoins.

Malheureusement, certaines victimes ne se sentent pas soulagées par leur témoignage. Le Tribunal n’est pas en mesure d’apporter un soutien continu à tous les témoins après qu’ils ont déposé, mais la Section d'aide aux victimes et aux témoins a mis en place, sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, un réseau de services de santé et de services sociaux capable d’apporter ce soutien. La Section  s’est en outre employé à transférer son savoir-faire à ses homologues de la région, afin de donner aux instances judiciaires locales la possibilité de faire de la salle d’audience un environnement accueillant pour les témoins, ce qui est particulièrement important pour les victimes de violence sexuelles.